Une promenade avec Mariama Sangomar

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L’homme et la femme forment une union. Ils se complètent, se protègent et se multiplient pour peupler chaque portion de parcelle de la Terre. La femme est pour l’homme, ce que l’eau est aux poissons, ce que les balises sont pour les navigateurs, ce que le cœur est pour le corps.
L’homme est pour la femme, ce que les cils et les sourcils sont aux yeux, ce que le bouclier est au viking, ce que le bleu est à la voûte céleste.
Un jour, au soleil levant, sous l’azur bronzé, je me promenais avec une femme que je venais à peine de connaître. Elle était douce, spitante et d’une radieuse beauté. Je la contemplais, je ne la perdais pas de vue. L’éclat de ses yeux écarquillés, ses mains câlines, son nez pointu et son odeur suave m’emportaient en extase.
Sous le regard charmant des braves dames sérères qui retiraient les huîtres solidement attachées aux tiges des palétuviers de la mangrove, nous marchions, pas à pas, main dans la main.
Jamais toute ma vie durant, je n’avais eu une si agréable compagnie.
Soudain, une ondée estompa mon bonheur. Nous nous refugiâmes près d’une épave échouée sur la plage de Dionewar à quelques mètres des récifs d’où ruisselaient les eaux piégées.
Seul, devant cette princesse d’une beauté ineffable, je m’efforçais d’inventer des contes et des blagues rien que pour la faire rire. Mon cœur me disait qu’elle était heureuse, mais mon esprit, toujours têtu, me grommelait que les « femmes sont tortueuses ». J’ignorai à dessein exprès ma raison et j’écoutai mon cœur qui me guidait sans cesse vers le bonheur. 
Face à un paysage splendide de roseaux humectés par l’averse, nos haleines se rapprochaient, nos lèvres aussi. Je rêvais d’un baiser, d’une danse lascive dans l’eau au rythme des plouf causés par le battement de nos pieds. Mais elle ne cessait de me réciter que « le cœur de l’homme est un infernal cachot que la femme illumine depuis le berceau ».
Etait-ce pour me freiner et sonner le glas de notre amour précoce ou pour attiser davantage la lueur d’espoir qui brillait dans mon cœur ?
Quoi qu’il en soit, chaque seconde qui passait me rapprochait d’elle. Les battements de mon cœur s’accéléraient. J’étais obsédé et possédé par la frimousse éclatante de cette rose.
Elle n’avait aucune ressemblance avec les femmes de l’île que je croisais tous les matins en allant aux champs.
« Je m’appelle Mariama » me chuchota-t-elle. « J’ai été présente à la formation de cette bande de Terre que vous surnommez « l’île de Sangomar » et j’assisterai au déluge sinistre qui l’emportera » ajoutait-t-elle.
Ebahi, je change de sujet en prenant sa douce main et ensemble nous plongeâmes dans l’eau.
A la fin de notre bain à ciel ouvert, elle était encore plus radieuse. Ses cheveux noirs et lisses étaient défrisés, ses yeux dégageaient des reflets irisés et sa voix devint fluide.
Elle me fixa dans les yeux, esquissa un sourire avant de m’adresser à nouveau la parole. « Ton regard plane sur moi depuis quelques instants, tu as l’air d’un poète » me dit-elle.
Muet, je restai coi, bouche bée avec un regard impuissant.
Elle continua en disant que « les poètes sont des menteurs vraiment ! Sans vouloir t’offenser, je ne vois dans leurs rimes que mensonges, arnaques et charlataneries. Ils utilisent le pouvoir du verbe pour ensorceler l’esprit de leur lecteur afin de paraître sages, des modèles pour la société.  Par contre, le peintre, lui, demeure un vrai artiste et j’espère que si tu en étais un, je mériterais une place parmi tes tableaux, lors de ta prochaine collection d’aquarelle. J’adore les couleurs légères ».
Elle porta ses habits à la hâte, s’esclaffa avant de me tourner le dos en sautillant tel un faon.
Bien qu’outragé, je ne pourrais m’empêcher de lui déclamer quelques vers.
Mariama ! Mariama ! Mariama !
Avances !
N’aies pas peur.
C’est peut-être ton jour de chance
Vas-y ! Libère ton cœur
Sauves-toi ! Sépares-toi de tes maux
Rien qu’en prononçant ces mots.
Simples pourtant mais aussi très apaisants.
Cruels parfois mais aussi très étincelants.
Cette simple expression est : « J’accepte ta main »

« Dans tes rêves » s’écria t’elle en s’éloignant de plus en plus.
Une petite pirogue voguant à vau-l’eau, sans moteur venait d’embarquer. Le vieux piroguier, seul à bord me fit signe de la main et me questionna. « Vous partez à l’autre côté de la rive mon enfant » ? J’acquiesçais de ma tête avant de le rejoindre. Ensemble, nous ramions, les yeux rivés vers les vagues qui s’écrasaient vainement devant la pirogue. « Eros t’a attribué beaucoup de faveur mon fils, j’ai vu comment tu regardais cette belle femme » me dit-il avant de continuer à siffler de la bouche. Quelques instants après, il me bombarda d’une série de conseils.
« Les femmes sont comme une épée, il vaut mieux apprendre à les manier plutôt que de les affronter. Ce brochet que tu voies en face de toi, je l’ai attrapé facilement ce matin car il venait d’engloutir une carpe géante, très grosse pour son estomac. Alors fiston n’aime jamais une femme à l’excès car tout excès est nuisible ».
…Arrivé à la maison, ma tante m’accueillit à bras ouvert comme à l’accoutumé. Mon frère Seydi, à demi nu, trouvait du plaisir à faire courir les poules. Mes oncles, sous la tente jouaient à la dame. Une atmosphère joviale régnait dans la demeure jusqu’à ce que je commence à narrer ma rencontre avec Mariama. « Comment était-t-elle » ? Me demanda ma grand mère, au visage ridé sous l’effet de l’âge. Je lui répondis que Mariama était l’emblème de la beauté. L’azur de ses yeux brillait sans cesse. Ses lèvres rouges entrebâillées laissaient apparaitre l’éclat de ses dents blanches bien superposées. Ses cheveux longs et noirs frappaient ses épaules. Ses fossettes et ses douces exhalaisons faisaient d’elle la plus belle femme au monde. Je fus encore plus rassuré quand elle me dit qu’« elle était présente à la formation de l’île de Sangomar et assistera au déluge sinistre qui l’emportera ». Ils se regardèrent et changèrent aussitôt d’humeur. « C’est vraiment ce qu’elle t’a dit » ? me demanda mon oncle Makhou. « Oui » lui répondis-je. « Alors mon petit, sache que tu t’es baladé avec la djinn protectrice des îles du Saloum. C’est Mariama Sangomar, elle prend la forme humaine parfois pour faire des recommandations afin de nous prévenir des dangers qui guettent notre village » ajouta ma grand-mère.
Je fus abasourdi, paralysé et choqué à cause des pensées impies qui me hantaient tout d’un coup. J’étais seul comme cette oasis au milieu des dunes de sables à perte de vue du désert et un déluge de larmes envahit mon visage piteux.
Le message de cette djinn était clair pour moi « Arrêter de jouer avec le cœur des femmes ».

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 24, 2020 ⏰

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