L'eau referme sur moi ses tumultes et ainsi disparaissent les cris des pirates. Elle est glacée, et immobilise immédiatement mon corps dans une prise atroce. Je bats des pieds, m'élance dans la direction que je pense être celle de la surface mais j'oublie le sens de la terre, et les tourbillons m'attirent à eux sans que je puisse rien y faire. Je sens mes poumons cracher un air inexistant, et ma tête se remplir de vagues. Je suis dans l'ombre, dans le noir, dans l'infini de l'océan et ne sais si je ne me démène pas vers le fond. J'ose ouvrir les yeux, malgré la brûlure du sel, et entrevois dans cet univers flou, les bulles d'air qui remontent vers la surface. Aussitôt, je m'élance dans leur direction mais la terrible silhouette du navire bloque leur voyage et le mien. Je m'extirpe des courants, essaie de nager pour m'éloigner et enfin sortir la tête de cet étau qui compresse tous mes sens.
Tout tourne autour de moi, et la réalité perd son sens tandis que je m'échine à me dégager des tentacules sournoises qui m'enserrent et me font perdre pied. Je crois mourir, doucement, et résiste à la folle tentation du chant de la mer, à me laisser faire, et couler paisiblement pour à jamais reposer sur le sable fin du bout du monde.
Lily. Elle est seule image à présent dans mon esprit embué, mais son visage s'asphyxie en même temps que mon corps. Je lutte encore, mais je le sais : l'océan ne laissera pas mon courage triompher. Je suis condamnée, trop loin de la surface, trop proche du monstrueux navire, et ma dépouille sera à jamais vestige de mon passage sur l'Île. Peut-être me retrouvera-t-on, ventre gonflé, visage vert comme les algues qui s'emmêleront à mes cheveux asséchés par le sels, et yeux ouverts sur ce monde qui ne m'appartiendra plus.
Rires d'enfants et chasses au trésor, voilà ce que j'espérais trouver lors de cette aventure mais je me retrouve face à une réalité bien plus cruelle. C'est la traitrise et la mort que j'enlace maintenant.
Une douloureuse caresse passe sur mes jambes et cette peau écailleuse, je le sens, n'est pas celle d'un dauphin, mais d'une créature bien plus sombre. Le frisson froid qui me parcoure les membres me paralyse un peu plus et je cesse de me débattre. Ainsi, pas même mon cadavre rappellera aux habitants du Monde Imaginaire mon sacrifice. Je me laisse aller à l'étreinte froide de la créature et m'abîme dans une sphère de ténèbres.
Soudainement, une bouche contre la mienne m'insuffle de l'oxygène, qui force sa voie dans dans mes poumons emplis d'eau salée. Les lèvres appuyées aux miennes sont rêches mais je chéris ce qu'elles m'offrent, ce si précieux fluide qui me rend la vie.
La pression qui s'écrase sur mes tympans se dissipent peu à peu, les bulles dans mon sang glissent jusqu'à la surface de ma peau et s'évapore tandis que les oreilles émettent un grésillement.
L'air qui me gicle au visage quand je franchis la barrière de la surface me brûle et mes paupières semblent collées : je ne peux plus ouvrir mes yeux et lutte contre la panique. J'entends encore les pirates crier, mais leurs exclamations sont lointaines et je sais que je n'ai plus à craindre leur grosses mains et leur cruauté pour l'instant. J'essaie de me débattre des mains qui encerclent encore ma taille mais ne rencontre qu'une surface glissante qui refuse de se laisser faire.
- Cesse ! Je suis là pour t'aider !
La voix est chantante mais ferme, et reflète les cris des oiseaux de la mer et la mélodie des vagues. Exténuée, j'obéis et me laisse à l'étreinte de l'écume. Peu à peu, mes larmes dissolvent le sel qui colle mes yeux et je puis apercevoir les flots noirs sous un ciel d'orages, et ces derniers étendent leur couleur trouble aussi loin que je peux voir. Le pic vert de l'Île est la seule caractéristique me permettant de situer notre emplacement.
Je descends les yeux pour apercevoir une queue émeraude qui miroite, chatoiement faible qui me rend la respiration. Le bras pâle qui s'enroule autour de mon torse arbore une longue ligne blanchâtre et je reconnais alors la Sirène qui vient de me sauver la vie.
- Aereth ?
Sa tête apparait, proche de la mienne et je vois la détresse dans ses yeux pleins de larmes.
- Que... pourquoi m'avoir sauvé ? je suffoque mais elle ne me répond pas.
A la place, elle me lâche et s'éloigne. Sa bouche rose articule une phrase, entrecoupée par son souffle court.
- Je vais me glisser sous toi, entre tes jambes. Accroche-toi bien, je ne ralentirai pas. Je te ramène à l'Île, près de ton coeur.
Je n'ai pas le temps de poser plus de questions. Elle s'élance sous moi, et entre mes cuisses s'insinue une froideur indescriptible. Je pose mes mains tremblantes sur la peau nacrée de ses épaules et m'y agrippe aussi solidement que possible alors que nous fendons les vagues en direction de la plage.
Elle nage plus rapidement encore que le navire des pirates, que je voie s'éloigner à l'horizon, ses grandes voiles comme mille drapeaux étincelants au soleil pâle de cette fin d'après-midi. Nous passons rapidement le Rocher du Crâne et je frisonne lorsque son ombre malsaine nous baigne et nous enlace.
Je me prépare à nager jusqu'à la côte mais la Sirène ne cesse pas de battre sa nageoire. Elle ondule encore, sans freiner sa course pour contourner le Cap où, je le sais, se dresse l'Arbre du Pendu, pour virer vers le Sud-Ouest. L'eau retrouve son teint turquoise et le son cristallin des vaguelettes contre ma peau apaise mes douleurs et mon ivresse. Je ne sais plus si les gouttes salées qui dévalent mes joues et mes lèvres proviennent des océans ou de mes souffrances. Mon bras droit, je m'en rends compte, pend sur mes flancs, et la morsure du crochet du Capitaine s'y inscrit, arrachant ma chair, et le feu lancinant de cette plaie remonte rapidement le long de mon membre raide.
Finalement, nous parvenons à une petite plage, masquée par des falaises qui l'entoure d'ailes protectrices, et elle me laisse glisser au rythme des vagues sur le sable doux.
Je me retourne et, du ton le plus sincère, lui chuchote :
- Merci.
Mais elle reste silencieuse, me regarde tituber jusqu'à la crique, avant de rejoindre les flots et de disparaître comme un rêve.
Ça m'engage un peu qu'Aereth ait une place si moindre dans ce récit. Je voulais lui consacrer une nouvelle, qui expliquerait l'origine de sa cicatrice et pourquoi elle vient de sauver Claire, mais c'est encore un projet flou.
J'espère que ce chapitre vous aura plus !
A la semaine prochaine 🌟
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Jamais demain
Fanfic« - Peter, attend ! [...]Les pensées se bousculent et s'emmêlent. De vieilles comptines, d'anciennes fables reviennent à moi, perdues dans les méandres de l'enfance, temps qui va bientôt disparaître puisqu'il est bientôt minuit. Tous les enfants gra...