Interlude 5 : décision

182 29 2
                                    

La Nouvelle Arkonna déployait ses tours grises dans le néant de l'espace, comme une métaphore des efforts humains pour conquérir les ténèbres. Depuis sa destruction complète par le terroriste ældien, les travaux, entamés immédiatement, avaient bien progressé. L'Holos avait dû lever des sommes faramineuses pour cela, contraignant les colonies les plus éloignées du Noyau central de la Voie. Mais, grâce à la propagande catastrophiste relayée par les médias, tout le monde avait payé. La République avait assez de problèmes à régler pour se permettre de devoir affronter en plus la menace du retour des ældiens dans la galaxie.

Le nouveau centre militaire de l'Holos n'avait pas été reconstruit au même endroit que l'ancien : trop de mauvais souvenirs y étaient rattachés. D'après les experts consultés pour l'occasion, c'était la proximité d'un trou noir qui était indirectement responsable de la chute d'Arkonna, en multipliant les singularités. Les stratèges avaient cru bien faire en s'installant sur ce caillou stérile battu par les vents gravitationnels, voyant dans la présence de ruines stellaires un argument supplémentaire. Mais les fameuses ruines étaient en fait un avant-poste korridite, le poison encore actif de bombes oubliées, jamais désamorcées. Les vestiges d'une guerre oubliée, qui avait coûté si cher à l'humanité... Cette fois, on avait choisi un endroit bénin, un satellite artificiel en orbite d'une des quelques planètes non terraformables reliées par la Luge. Cette précaution permettrait aux contingents d'évacuer plus vite, si besoin était. Elle donnait également une plus grande marge de manœuvre aux troupes, en leur permettant de se retrouver sur n'importe quel point du réseau lugien de manière quasi instantanée. On évitait ainsi d'immenses dépenses énergétiques et la prise de risque que conférait l'accès à l'espace interstitiel par forage gravitationnel. La perte de deux unités CERG, leur meilleur collisionneur, avait coûté assez cher à l'Holos.

En entrant dans le champ d'attraction du nouveau spatioport, l'astrojet de l'amirale fut pris en main automatiquement par le pilotage automatique de la base. Varma lâcha les commandes et se laissa guider.

— Bienvenue à la maison, Amirale, l'accueillit l'aide de camp dès sa sortie de la machine.

— Merci, Thoms. Des nouvelles de Manmohan ?

— Son Excellence est revenue, puis repartie immédiatement. Mais le capitaine de Frégate Khan est là, Amirale. Elle vous attend dans vos quartiers.

Varma se força à conserver un air impassible. Elle ne s'était pas trouvée en face de Manmohan depuis des semaines. Ces maudites offensives exogènes... alors qu'on les croyait éteintes, les créatures dégénérées de l'ancien système ultari se déversaient comme des hordes de fourmis. Le terroriste ældien avait ouvert une véritable boîte de Pandore.

Il n'y avait qu'un seul responsable. Ar-waën Elaig Silivren. Varma sentait intimement qu'il était lié au retour des ældiens dans la Voie. Et il n'y avait qu'une personne capable de se dresser face à lui. C'était elle. Elle allait le subjuguer, comme Durga l'avait fait avec le démon Mahishasura. Ensuite, ils auraient enfin le champ libre pour s'occuper des problèmes de fond : le désarmement progressif de la Voie et le colmatage des zones contaminées. Seulement à ce prix, la paix universelle serait atteinte.

Prise dans sa méditation active, Varma avait évacué pour un court instant la présence d'une jeune femme un peu garçonne en uniforme. Elle faillit manifester sa surprise en voyant sa fille adoptive debout dans son bureau, mais se reprit à temps.

— Bonjour, Mère, la salua Saiyad en faisant mine de lui toucher les pieds.

Varma ne lui fit pas le moindre signe lui indiquant qu'elle pouvait se passer de ce protocole. Pourtant, il l'énervait. Ces salutations étaient le reliquat d'une époque honteuse et longtemps révolue, que Manmohan et elle voulaient éliminer. L'Humanité n'en était plus là : elle devait atteindre un nouveau stade.

LA CHAIR ET LE MÉTAL (Ne me mords pas)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant