Sunirma

34 3 23
                                    

Pas d'araignées dans ce chapitre ! Nous découvrons les lieux -un pays inspiré du Suriname.

« On m'a dit que vous seriez deux », fit remarquer Sathoban Madayali alors que la journaliste la suivait précautionneusement à l'intérieur du refuge. Sophia semblait jeune. Méfiante. Fatiguée, aussi. Sans doute à cause de son vol tardif vers l'unique aéroport de Sunirma, suivi du trajet très matinal sur les mauvaises routes de terre qui conduisaient à cet endroit perdu.

« Oui, mais Juliette —je veux dire, madame Descamps— a préféré rester dans la baie de... enfin, rester sur place, de peur de manquer les baleines. Leur migration a été perturbée par la météo, et nous avons engagé des frais pour ce reportage, alors... »

Elle se frotta les yeux, et Sathoban hocha la tête en signe de compréhension. Sa jeune hôte paraissant mal réveillée, elle se rendit jusqu'au bureau encombré de paquets de riz et de grappes de bananes mûres pour mettre en marche la cafetière.

Sophia grimaça lorsqu'elle la vit allumer la machine maculée de taches brunes.

La pièce était à l'avenant. Rustique, désordonnée, elle aurait pu sembler vaste si des liasses de notes et des revues spécialisées ne s'empilaient pas sur le mobilier de bois sculpté. Mal à l'aise dans l'atmosphère humide, mais heureuse de se retrouver dans un lieu ombragé, Sophia s'aventura à la découverte du refuge.

Il paraissait, de prime abord, sale et poussiéreux. Cependant, la journaliste prit conscience que cette impression était due aux rigoles que la moiteur traçait partout contre les murs. Alors que le soleil s'annonçait à peine, des gouttelettes perlaient sur les vitres tachetées d'eau séchée, et ce malgré les absorbeurs d'humidité placés près du matériel électrique. Sophia elle-même était en nage.

« Je comprends que vous vous soyez séparées », dit Sathoban en finissant d'entasser ailleurs les objets qu'elle venait d'ôter du sofa. « Certains rendez-vous se préparent longtemps à l'avance, et ne se reportent pas. »

« D'autant plus que le phénomène que nous souhaitons observer ne se produit qu'une fois par an », renchérit Sophia en allant s'asseoir sur le canapé désormais dégagé. Et qu'il est avéré, lui.

Le bois sembla jouer sous elle comme s'il était encore vert, et toujours vivant. Posant sa paume à plat dessus, elle ne put découvrir s'il était vraiment souple ou simplement humide. « Comment faites-vous pour vivre ici toute l'année ? Ce local est complètement perdu. J'ai passé presque une heure à convaincre une habitante de bien vouloir m'y amener. »

Sathoban haussa les épaules. « J'aime le silence », dit-elle. « C'est une vie rude, mais c'est tranquille. Et je ne vis pas ici au quotidien. Je ne viens que quelques jours par semaine. Le reste du temps, je suis au village. »

Le silence ? La jungle résonnait du bruissement des feuilles et d'appels d'oiseaux, d'insectes, de singes. Ce refuge apparemment perdu à la cime des arbres avait été construit au cœur de la métropole mondiale de la faune et des fleurs. Sathoban était peut-être misanthrope...

La scientifique tendit une tasse de café à la nouvelle venue —en main propre, puisqu'elle n'avait pas pris la peine de déblayer la table basse— avant de venir s'asseoir à côté d'elle. Elle déposa sur la pile qui encombrait le meuble deux gros masques à demi transparents.

« Ce sont nos respirateurs. Le niveau d'oxygène, de l'autre côté du col, est démentiel par rapport à ce à quoi tu es habituée. J'imagine que tu as déjà commencé à en ressentir les effets. Les villageois d'ici s'y sont adaptés, mais même moi je mets ce truc. »

Sophia prit l'objet qu'on lui tendait. Il ne recouvrait que le nez et la bouche et s'attachait derrière la tête grâce à des lanières. Elle n'avait jamais vu ce type d'équipement auparavant, bien qu'il lui rappelle le matériel de plongée.

La Mue de l'araignée [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant