Les larmes ne coulaient pas. La douleur n'irradiait pas. Je courais sans regarder où j'allais, le vent dans les cheveux, le sang terrassant mes veines. J'aurais pu me tordre la cheville, m'étaler sur le bitume, m'assommer en tombant, mais rien de tout ça n'arriva. A la place, je courus durant ce qui me sembla être des heures, jusqu'à en perdre haleine, jusqu'à ce que mon corps ne s'écroule sur un banc esseulé et abîmé au milieu des arbres du parc que j'avais arpenté dans tous les sens, sous le regard intrigué des gens encore présents.
A travers les feuilles des arbres, j'aperçus le ciel teinté d'obscurité, les premières étoiles pâles qui tentaient de s'y faire une place. J'y mêlai mon regard, tachant de me nicher à leurs côtés. La sueur collait quelques mèches sur ma nuque et mon visage, l'air lourd de la soirée laissait sur ma peau une trace humide.
Au bout de quelques minutes à rester amorphe, incapable d'esquisser le moindre mouvement, inapte à avoir une seule pensée, je finis par baisser la tête. Après une longue inspiration, je me pris la tête entre les mains et m'autorisai enfin à visionner l'enchaînement inéluctable de la soirée, les paroles des uns, les douleurs des autres.
Les derniers mots que j'avais entendus étaient ceux de Clara. « Solange serait encore en vie si tu avais fait attention à elle. »
Je le sais, Clara. Et c'est tout le problème.
Voilà ce que j'aurais dû répondre. Cependant, j'étais trop hébétée pour dire quoi que ce soit.
Lorsque je suis partie, les disputes avaient déjà éclaté depuis plusieurs minutes. Cela ressemblait à un lointain mirage perdu dans la nuit. Je n'en avais pas compris un seul mot.
C'était vrai, j'étais une meurtrière. Mon inaction, mon égoïsme l'avaient tuée. Je n'avais pas pris soin d'elle comme je l'aurais dû, et c'était là l'ultime vérité. Ce jour me hanterait toute ma vie, et Clara avait pris un malin plaisir en le divulguant. Mon poing se serra malgré moi. Je n'arrivais même pas à la détester, je voulais juste qu'elle quitte ma vie et n'y revienne jamais.
Je n'attendais pas de larmes. Je savais que c'était une souffrance sourde, que les larmes ne pourraient pas apaiser. Et peut-être... peut-être qu'un jour j'arriverai à l'accepter et y penser ne sera plus aussi douloureux. Peut-être. Mais en attendant, je devais ployer sous ce fardeau. Personne ne m'avait vue m'éclipser. C'était sans doute mieux ainsi.
Je redoutais le moment où il me faudrait retourner au café. Qu'allais-je voir dans les yeux de mes amis ? Du dégoût, de la déception ? Existe-t-il seulement un mot pour qualifier ça ? Ce que j'avais fait, ou plutôt ce que je n'avais pas fait était irréparable. C'était bien plus qu'une simple erreur. C'était une atrocité, un péché, un crime. Les erreurs peuvent être comprises et corrigées. Mais la mort ? Elle ne peut pas être bernée. Et malheureusement pour moi, je ne suis pas l'héroïne d'un roman de fantaisie où la nécromancie peut être pratiquée.
Un sentiment que je ne connaissais maintenant que trop bien s'empara de mon âme. L'impuissance. Encore une des cruelles blessures affligées par sa mort. J'aurai beau me démener, hurler l'injustice au monde ; mes cris resteront dans la nuit. Je pourrais me tourmenter tout une vie. Je pourrais rejeter toute forme d'amour de ma vie. Je pourrais m'emmurer vivante dans la solitude et le désespoir, m'enterrer vive dans le cimetière de mes rêves, me tuer dans un travail que je déteste, devenir tout ce que j'ai toujours évité d'être.
Cependant, j'étais égoïste. Je l'ai découvert le jour où j'ai compris que je voulais vivre, aimer, mourir pour deux. J'ai alors compris que quoiqu'il arrive, je ferai tout plus intensément, passionnément, ardemment. Parce qu'elle n'en avait pas eu le droit, par ma faute. Je n'étais pas elle, elle n'était pas moi. Néanmoins, nous avions les mêmes aspirations. Elle voulait être reine du monde, briller si fort que les gens en auraient mal aux yeux, eh bien moi, je serai impératrice de l'univers et j'étincellerai au point qu'on brûlera si on me regarde trop longtemps. Si on m'entend trop longtemps. Si je reste trop longtemps quelque part. Nous serons deux. Nous seront reines. Et certainement pas reines des poussières de nos rêves brisés. Reines de nos ambitions accomplies.
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Tout pour la musique (2)
Fiksi RemajaLivre 2 de la série « plume et musique » /!\ Il est nécessaire d'avoir lu le tome 1 « La musique avant tout » :) La musique : une mélodie entraînante, des paroles touchantes, des émotions transparentes. Trois ans plus tard, tout a changé. Emili...