Une irrepréssible envie

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Je me perds à envier son attitude désinvolte. Il est simplement avachi sur le comptoir du Destiny, un des bar-café les plus côtés de la capitale. Je suis malgré moi attiré par l’aura si lugubre qui s’émane de lui. Je ne me lasse pas de le détailler durant ce court instant.
Tout comme les matins précédant il est assis seul et ne semble pas plus dérangé par sa solitude que par la gêne qu’il occasionne dans mon travail.

Je passe un coup de chiffon sur les tables en attendant les premiers clients et l’interpelle afin de prendre sa commande. Il ne daigne pas me donner de réponse. A dire vrai l’inverse m’aurait étonné. Je n’ai jamais entendu le son de sa voix mais je ne me résous pas à l’éconduire hors d’ici.
Je lui adresse cependant un timide sourire au lieu de me contenter de l’observer continuellement dans l’ombre. Pour la première fois une expression différente de la lassitude émerge de son visage. Il affiche un air interdit. Je baisse rapidement la tête, gêné de ce bref contact et retourne diligemment en cuisine.
La porte s’ouvre alors sur un groupe d’étudiants. Je me presse pour les servir avec aisance avant que d’autres n’arrivent. Le Destiny se retrouvent bientôt noir de monde et comme toujours, c’est ce moment-là qu’il choisit pour repartir. Sans un grincement de chaise. Il se glisse de manière imperceptible entre les clients mais s’arrête soudain avant de quitter la pièce. Il se retourne brusquement dans ma direction et nos regards se croisent. Un séduisant sourire prend sombrement forme sur son visage. Il me fixe. Je m’agite pour cacher mon embarras et manque de renverser des consommations. Il tourne alors des talons et sort.
Mes activités reprennent leurs cours comme si sa présence n’avait été qu’un mirage. Un songe qui continu d’intensément me troubler.

Je passe la journée à me remémorer son visage. Je ne parviens pas à effacer son expression de mon esprit. Il y est profondément ancré depuis le jour où j’ai été embauché et que j’y ai était confronté pour la première fois. Ce magnifique individu m’intrigue. En premier temps j’ai pensé qu’il s’était perdu mais il est bien là. Chaque jour. Je me promets de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour savoir. Je veux connaître ses pensées les plus profondes, les raisons de son isolement, jusqu’à savoir la couleur de son boxer. Je ne peux plus longtemps refreiner cette dangereuse curiosité. Je ne me comprends pas.

Je continue mon service jusqu’au soir et rentre chez moi. Le studio est vide, comme toujours. En fin de compte je ne suis pas plus différent que cet inconnu. Ma tête devient lourde à cette réflexion. Je me laisse tomber sur le canapé devant un programme télévisé des plus absurde et finis par m’endormir.

Le lendemain à mon arrivé au bar-café il est déjà là. Il semble extenué et est désormais accoudé au bar. Je me mets au travail derrière celui-ci en lui lançant quelques regards en biais. Il ne bronche pas. Ses yeux noirs sont plongés dans la contemplation du mur derrière moi. Je tente de maladroits gestes en espérant une quelconque attention. Il ne sourcille pas. J’allume un fond de radio et m’affaire autour de lui. Il parait si accablé, comme vivement meurtri. J’essaye alors une dernière tentative avant que le malaise ne me gagne totalement. Je dépose devant lui une tasse de Café Mocha accompagné d’une douceur à la fraise.

« Cadeaux de la maison par ton Sungjong. »


Je prends momentanément conscience de ma parole et rougis de confusion. Ce que je peux être gauche. Il redresse violemment son visage et plante ses yeux dans les miens. Ses pupilles sont dilatées. J’ai l’impression qu’il recherche quelque chose. Je fais quelques pas en arrière. Il me dévisage maintenant et se penche en avant, se rapprochant gravement de moi.

« Je suis désolé… Bafouillais-je. »

Il m’examine toujours mais désormais avec un sentiment d’extrême chagrin. Je ne me suis jamais senti aussi minable. Je m’hasarde à tendre le bras pour lui tapoter tendrement l’épaule en signe de réconfort. Il se crispe à ce geste. Je peux sentir des frissons parcourir sa peau sous sa chemise. Je laisse ma main en suspend craignant une mauvaise réaction. Il attrape la tasse que je lui ai servie et l’avale d’un trait.

« Mon préféré… Susurra-t-il. »

Je reste stupéfait de l’entendre. Sa voix est douce et brisée. Je savoure cette mince victoire mais j’aimerais tellement en entendre plus encore. Il commence à retourner lentement à ses réflexions. Je ne veux pas terminer cette furtive conversation de sitôt. Je m’accoude à mon tour de l’autre côté du comptoir.

« Je pourrais connaître ton prénom ? »

Il met de la distance entre nous en se mordillant légèrement les lèvres. Elles sont pulpeuses et terriblement désirable.

« Myungsoo. »

Mon regard reste suspendu à sa bouche. Mon cœur à un raté sans que je n’en connaisse la raison. J’ai comme l'impression de de l'avoir déjà entendu.

« J’aime beaucoup. Mais dis-moi Myungsoo, que fais-tu tous les matins ici ?

- J’attends… »

Des clients entre et nous coupe ainsi dans ce rapide échange. Il se lève pour s’échapper d’une discussion qu’il juge surement sans intérêt.

Je ne peux pas le laisser partir une nouvelle fois. Je me le suis promis. Je me dirige dans sa direction avant qu’il n’atteigne la sortie et le saisi durement. Une chaleur qui m’est étrangement commune s’en dégage. Il me toise du regard et retire simplement mes doigts de son poignet.

« J’attends que tu te souviennes. »

L'attrayant solitaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant