O'Neill's

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Petite musique pour vous mettre dans l'ambiance, n'hésitez pas à la mettre en fond sonore pendant la lecture!

ATTENTION SPOILERS POUR CEUX QUI N'ONT PAS LU "CHANGER LA PLUIE"

La rame de tram me dépose non loin du quartier animé de Temple Bar. Malgré le fait que ce soit jeudi soir, bon nombre de jeunes étudiants sont de sortie. Je souris, les voir me ramène au temps pas si lointain où je faisais de même. De la musique et des rires s'échappent des établissements à chaque fois qu'une porte s'ouvre sur la rue.

A présent que je marche et me dirige vers ma destination, je sens l'appréhension monter en moi. Je me demande si c'est finalement une bonne idée de revoir Kylian. Et si on n'avait rien à se dire?  Après tout, nous n'avons partagé que dix jours de voyage il y a plus de trois ans.

J'essaye de me rassurer en me disant que de toute manière, avec l'ambiance du pub, la musique et les bières aidants, ça devrait meubler assez pour ne pas ressentir de malaise. Je l'aperçois devant le O'Neill's et ma première réflexion est qu'il n'a pas changé. Sa chevelure brune, sa peau mate contrastent avec toutes les personnes blondes et pâles qui l'entourent. Le sourire immense qui barre son visage en m'apercevant me fait un coup au cœur. Car le voir sourire est inhabituel.

Je me penche pour lui faire un câlin alors qu'il me tend une joue pour la bise, ce qui donne un truc pour le moins bizarre. Je ris pour me redonner une contenance.

- Kylian ! Ca alors ! Si j'avais pensé passer la soirée avec toi ce soir ! Je ne l'aurais jamais cru !

- Amy, tu n'as pas changé, dit-il avec son accent français et me scrutant de son regard vert.

- Si un peu quand même ! je m'offusque.

Il sourit. Nous entrons dans le pub où l'ambiance est déjà à un stade bien avancé. Il y a un monde fou, et j'emprunte les escaliers pour me diriger vers le bar à l'étage, il va être difficile de trouver une table.

- Tu prends quoi ? je crie pour me faire entendre par-dessus le bruit.

Il répond quelque chose qui pourrait vouloir dire « comme toi », alors je commande deux Smithwicks, une bière plus douce mais bien plus sucrée que la Guinness. Je règle les consommations à la barmaid et tend son verre à Kylian. Il a l'air de s'offusquer de me voir régler, du coup je lui explique par-dessus le brouhaha que lorsqu'on est invité au pub par un irlandais, on ne paye pas la première tournée. Il me montre une table un peu à l'écart qui vient de se libérer et je le suis, traçant à nouveau un chemin à travers la foule compacte.

Je triture mon verre sans oser lever les yeux vers lui. Mon regard accroche ses mains qui entourent son verre de bière. Le tatouage représentant une étoile sur sa main me renvoie à notre conversation d'il y a trois ans. Je me sens soudain timide sans savoir me l'expliquer. Pose une question, idiote !

- Que fais-tu à Dublin ?

- Alors as-tu rejoins le cabinet d'avocat de ton père ? me demande-t-il en même temps.

- Je suis venu pour assurer la promotion du groupe de musique que je suis, ils tentent d'agrandir leur marché à l'Irlande et l'Angleterre.

- Oui depuis trois ans, je réponds au même moment.

Il se met à rire. Je trouve son rire complètement lumineux. Il faut dire que je n'avais pas vraiment eu l'occasion de l'entendre en Australie.

- Il va falloir qu'on arrête de parler simultanément, dit-il, ça va être compliqué sinon.

Je me mets à rire également et me détends d'un coup. Ou peut-être est-ce l'effet de la bière. Il me semble différent, plus apaisé. Son visage semble de fait plus jeune et différent. Je suis surprise qu'il se souvienne de cette information sur moi. J'ai soudain envie de tout savoir, comment s'est passé son retour en France, a-t-il renoué avec Anaïs, la femme de sa fille, comment se fait-il qu'il suive un groupe de musique ? Absolument tout.

- Enfin je te retrouve, plaisante-il devant mon avalanche de questions.

Au fur et à mesure que nos bières descendent, j'en apprends plus sur sa vie. Il est effectivement retourné en France il y a trois ans et semble avoir fait la paix avec ses démons. J'apprends qu'Anaïs est devenue son ex-femme et qu'elle a eu un bébé avec un certain David. Je ne vois pas de tristesse dans ses yeux à cette annonce, j'en conclue donc que ce n'est pas une mauvaise chose pour lui. Ses prunelles vertes sont limpides, ce qui me frappe soudainement. Là où les tourments voilaient son regard, j'y repère à présent un certain apaisement. Je me rends soudain compte que je le dévisage et, gênée, boit ce qu'il reste de ma bière d'un cul sec :

- Allons voir le groupe jouer, ce sont de vieilles chansons irlandaises, tu vas adorer ! dis-je en me levant.

Ils sont trois musiciens sur la minuscule scène. L'un tient une grosse guitare folk, celui de droite un instrument que je pense reconnaitre comme étant un banjo. Le musicien du milieu joue de la flûte traversière. Les premières notes de « No, Ney, Never » s'élèvent et je tape dans les mains excitée comme une gamine. Je chante les paroles de cette chanson typique à tue-tête en chantant faux, mais peu importe, je m'amuse comme je ne l'avais pas fait depuis trop longtemps.

Kylian fait mine de se boucher les oreilles ce qui lui vaut une tape sur le bras. La foule se presse, s'amasse et je me retrouve tout contre lui, je peux sentir la chaleur de son corps dans mon dos. Je devrais m'écarter mais je n'en fais rien. La mélodie change et devient plus alors plus douce. Le timbre de la flûte traversière s'élève, magique et arrive à me transporter vers des horizons lointains. L'âme de mon pays s'entend dans chacune des notes. La musique celtique m'envahit et je la sens vibrer dans chaque fibre de mon corps.

Je passe une soirée telle que je n'en avais pas passée depuis longtemps. Un peu hors du temps. Je me sens bien, je me sens moi. Pas de rôle à jouer, pas de carcan, pas d'obligation. Pour un soir j'ai déconnecté. Vers minuit et demi, nous sortons du pub. Je remets ma veste, Kylian et moi restons face à face sans parler.

- Je te raccompagne au tram ? propose-t-il.

- Ok, si tu veux.

Nous marchons côte à côte dans la nuit, sans parler, guidé par le son de nos pas. Il décide d'attendre le tramway avec moi une quinzaine de minutes, il y a moins de rames passé minuit. A plusieurs reprises, j'ai l'impression qu'il veut me dire quelque chose, mais je dois me tromper.

- C'était sympa de te revoir Kylian, ça change de l'Australie ! Il nous manquait que l'accent de Cooper le guide et les signes de victoire de Wang, je ris.

- C'est vrai, m'accorde-t-il, c'était très sympa. Il se pourrait que je revienne régulièrement par ici, alors je te ferais signe ?

- Avec plaisir ! Tu sais, à part le travail, je ne sors plus si souvent, ça sera l'occasion...

Le tram arrive lentement au bord du quai, je n'ai pas tellement envie de partir mais je monte dedans lui adressant un signe de la main. Au moment où la rame se referme, il semble se décider et ouvre la bouche pour me parler, sauf que je n'entends rien. Les portes se sont fermées et je vois sa chevelure brune ébouriffée et son regard vert s'éloigner au fur à mesure que le tram prend de la vitesse.

*****

Alors, qu'avez vous pensé de ces retrouvailles?

Ce n'a pas été un chapitre très facile à écrire car j'avais peu de dénaturer mon personnage Kylian. J'espère que ca vous a plu, biz!

Prendre son envolOù les histoires vivent. Découvrez maintenant