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Mira

Les dernières minutes m'ont tellement éprouvée que je ne peux qu'agir mécaniquement et me saisir des vêtements qui traînaient au sol. Qu'est-ce qu'il vient de se passer et qu'est-ce qui va m'arriver ?... Je me rhabille hâtivement en essayant de faire abstractions des regards insistants sur moi. Je suis terrifiée par la suite des événements mais n'ayant aucune envie de rester là une seule seconde de plus je cours presque vers l'entrée. Je m'arrête à mi-chemin pour tenter de calmer ma respiration et faire cesser le flux de pensées incohérentes. Reprends-toi Mira, tu as déjà vécu pire, ça va aller, tu surmonteras toute cette merde. Je ne sais pas encore comment mais je me fais la promesse d'y parvenir. Et je sais que pour ça je vais devoir être constamment attentive et vigilante, il y aura bien une opportunité à un moment ou un autre. En attendant le mieux est de suivre le courant et de ne pas laisser la peur me faire faire n'importe quoi. Facile à dire.

Je prends une grande respiration avant de me remettre à marcher vers... Mince, comment je peux l'appeler ? J'hésite quelques secondes avant de faire les derniers pas qui me séparait de lui et lâche dans un souffle :

— Comment tu t'appelles ?

Il prend le temps de souffler la fumée de sa cigarette avant de se tourner vers moi. Son air est tellement glacial que je regrette instantanément ma question. Nos yeux bruns se fixent quelques secondes avant que je finisse par baisser la tête. Il est grand par rapport à moi et son corps semble légèrement musclé, les manches relevées de sa chemise dévoilent une peau légèrement ambrée. A vu de nez je dirais qu'il a dans la trentaine mais sa coupe de cheveux ultra courte le vieilli peut-être un peu. Alors que je m'attends à une répartie cinglante il finit par me répondre :

— Tu peux m'appeler Ezéchiel.

Ok. J'imagine que c'est un début. La tournure de sa phrase me laisse m'interroger quelques secondes, est-ce que c'est réellement son prénom ou pas ? Mais je finis par laisser tomber, c'est peu probable vu la situation et j'ai aucune envie de lui demander des précisions. Je m'adosse contre le mur du vestibule et croise mes bras contre ma poitrine. Je ne sais pas trop quoi faire hormis attendre qu'il finisse sa clope mais le temps semble décider à passer le plus lentement possible.

Ça me laisse quelques minutes pour essayer de combler le trou noir dans ma mémoire. Je me souviens de ma journée de travail, d'avoir rejoint mes amis sur la plage et d'avoir trinquer mais ensuite plus rien. Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé depuis, je sais que j'ai ouvert brièvement les yeux à plusieurs reprises mais pas assez longtemps pour avoir de réel souvenir. Mon dernier réveil était dans ce maudit salon et il a dû arriver peu de temps après. Le paysage que me laisse entrevoir la porte ne m'évoque rien de particulier, putain si on m'avait dit que j'aurais dû être attentive en géographie.

L'idée de m'enfuir me vient brusquement, bousculer Ezéchiel pour franchir la porte, m'enfuir en courant dans les champs qui entourent la maison. La stupidité de cette idée me vient tout aussi brusquement. Ils sont cinq et même s'ils ne pourront pas tous me suivre à cause des autres filles ils restent trop nombreux. À ça s'ajoute les armes et le terrain dégagé ainsi que mon état. J'ai aucune idée d'où je suis, les seules affaires que je possède sont les vêtements que je porte puisque mon sac a disparu et mon dernier repas doit remonter à largement une journée.

Lorsqu'il termine enfin il me fait signe de le suivre dehors, j'imagine que l'option de la fuite est tellement stupide pour lui aussi qu'il ne la mentionne même pas. Je n'ai jamais spécialement aimé passer du temps dehors mais pour une fois je prends le temps de savourer les timides rayons du soleil ainsi que le vent qui caresse ma peau. Après tout, je ne sais pas si je vais pouvoir en profiter encore longtemps. Je ne pouvais pas la voir avant mais une berline d'un bleu sombre est garée à quelques pas, alors qu'Ezéchiel ouvre la porte côté conducteur pour s'installer je me retrouve face à une question existentielle. Je monte où ? A l'avant ? On n'est pas potes et il m'a enlevé ça serait bizarre non ? A l'arrière ? C'est pas un chauffeur Uber et là aussi n'importe qui pourrait me reconnaître.

Oh bordel ! Je n'y avais pas pensé avant mais, est-ce que quelqu'un sait au moins qu'on m'a enlevé ? Et la réalité glaciale me frappe brusquement. Le turnover de mon métier est important, trop pour qu'on s'intéresse à mon absence. Puis vu mes derniers souvenirs j'imagine qu'il y a un membre de l'équipage complice donc... Mes parents mettront eux sans doute des semaines avant de s'inquiéter réellement de mon silence. La voix d'Ezéchiel qui me demande de monter me sort de ma torpeur. N'ayant pas eu d'instruction particulière j'opte pour monter à l'avant, vu son silence j'imagine que ça lui convient.

La voiture dispose d'un ordinateur de bord mais ce dernier est coupé donc je ne suis pas plus avancée pour savoir où je me trouve. Le silence qui règne m'oppresse terriblement, j'ai besoin de faire quelque chose, allumer la radio, ouvrir ma vitre ou j'en sais rien, juste avoir une distraction de quelques secondes qui me donne l'impression d'avoir un peu de contrôle. Mais je n'ose pas esquisser le moindre geste, mon corps refuse de m'obéir et s'installe même un peu plus profondément dans le siège en cuir. La route est étroite ce qui le force à rouler doucement, les minutes passent mais le paysage reste identique, des collines avec quelques plantations et quelques maisons isolées. Les changements sont tellement maigres que j'ai l'impression d'être coincée dans une boucle temporelle. Ivre d'ennui, je finis par coller ma joue contre la vitre et fermer les yeux. Le mouvement du véhicule me berce à merveille si bien que je m'endors quasiment aussitôt. Ma peur et mon flot de pensées vont enfin me laisser un peu de répit.

TénèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant