Embrase-moi Tome 2

Chapitre 18 Partie 4 - Elle

Je soupire alors que la discussion va bon train à ma table. J'attrape mon verre de vin en observant les clients installés autour de nous. La terrasse est pleine ce midi. Le soleil tape fort, mais à l'ombre de la toile, c'est agréable. Une petite brise souffle, nous rafraichissant suffisamment. Il doit y avoir de nombreux déjeuners d'affaires. Je remarque avec tristesse qu'il y a très peu de femmes parmi tous ces hommes en costumes-cravates. C'est assez désespérant de voir que la plupart des postes importants sont encore occupés par des « mâles ». L'égalité des sexes est encore loin d'être respecté.

Je m'amuse à lire sur leur visage, à deviner lequel se trouve en position de force. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas adonné à ce « jeu ». C'est assez facile de décrypter le langage corporel. Il suffit d'étudier un peu le comportement humain. Ensuite, il faut être attentif. A ce qui nous entoure, ce que nous entendons, ce que nous voyons. Même si certains ont des prédisposition, tout le monde est capable d'effectuer une lecture à froid. Identifier les besoins, les envies, les peurs d'une personne est le meilleur moyen de réussir à la manipuler comme on le souhaite. Cela peut aussi être un bon instrument pour trouver son point faible, sa faille. Et l'exploiter ensuite à sa guise. Ce genre d'échange a toujours fait partie de ma vie. Tout le monde maitrise cette aptitude. Certains mieux que d'autres, évidemment. Mais ceux qui n'y arrivent pas, se font dévorer. L'argent ne fait pas tout, il faut aussi avoir le pouvoir. Tout savoir des personnes que tu côtoies. Connaitre leur vie, leur sentiment, leur fragilité, leur victoire et leur défaite. Voilà où réside le véritable pouvoir, dans la connaissance.

Je chasse les souvenirs qui se bousculent dans mon esprit. Ce n'est vraiment pas le moment de penser à ça. Je préfère me rappeler de la dernière fois que je suis venue ici.

Je souris alors que des images me reviennent en mémoire. C'était cette fameuse soirée avec Gabriel. La deuxième fois que je partageais des instants d'intimité avec lui. C'est cette nuit ensemble qui nous a tant rapproché. Sans cela, nous ne serions peut-être pas aussi inséparables aujourd'hui. C'est vrai quand on y réfléchi, avant ces deux contrats, nous n'avions jamais vraiment discuté. Je l'avais déjà croisé dans les couloirs ou dans la salle de pause, mais nous n'avions échangé que quelques mots. De banals paroles sur la pluie et le beau temps. Je serai alors passé à côté d'une merveilleuse personne. Un ami en or, un homme gentil. C'est fou de voir ce à quoi tient notre vie, ce qui la façonne. Des instants uniques, des rencontres dues au hasard, au destin.

Je pense que nous n'oublierons jamais cette mission si étrange. Nous en avons d'ailleurs reparlé il y a peu. D'après ce qu'il m'a dit, Madame Sand souhaitait refaire appel à nos services. Il m'a bien précisé qu'elle semblait déçue quand Carine l'a informée que je ne faisais plus partie de l'agence. Je me demande quelle fille va me remplacer. Si elle m'avait choisi pour ma couleur de cheveux, il va falloir faire un recrutement. Ou que l'une de celles présentent se teigne les cheveux. Cerise pourrait correspondre à ses envies. Elle est très jolie. Elle s'entend bien avec Gab, en plus. Eve n'est pas assez soumise pour cela. Elle n'aime pas vraiment qu'on lui donne des ordres.

— Scarlett, vous prendrez bien un dessert ?

Je croise le regard de mon client qui me sourit. J'acquiesce, prenant la carte qu'un serveur me tend. Je parcours les noms des plats sucrés avant d'arrêter mon choix sur une tarte aux framboises. Simple, mais avec ces températures, c'est ce qu'il me faut. Je préfère quelque chose de frais et léger pour finir ce repas. Je passe ma commande auprès du jeune homme qui patiente près de moi. Les hommes qui m'encerclent se contentent d'un café. Le garçon a à peine tourné les talons que leur conversation reprend. Pour ce déjeuner, je dois me contenter de jouer la jolie plante verte. Sourire, battre des cils et surtout, me taire. Je me mords la langue quand j'entends une absurdité. Que c'est dur de se retenir d'intervenir quand on sait que l'un d'eux à tort. Ils ne font que parler rachat d'entreprises, procès en cours, business plan et start up en vogue. Tout en mentionnant, évidemment, des montants à plusieurs centaines de zéros. De quoi donner le tournis à toute personne qui ne fréquente pas ces cercles. On pourrait les croire bien élevés, cultivés, pourtant, tout ce que je vois, c'est un concours. A qui pissera le plus loin ! Ce qu'un homme peut être bête quand il se pense en compétition, qu'il veut montrer sa réussite. C'est affligeant !