- C'est ce que nous verrons, dis-je en mettant fin à cette joute verbale, un sourire toujours plaqué aux lèvres. »
Elle ne rétorqua rien, et m'intima de jouer en essayant de cacher les regards assassins qu'elle me lançait dû à sa défaite orale.
C'est au bout d'une dizaine de parties, toutes remportée par moi-même, que ma charmante adversaire se décida à parler. Elle qui ne faisait que grommeler à chaque défaite, sa voix illustrait une certaine assurance.
« Encore une ! s'exclama-t-elle.
- Je ne te savais pas adepte du masochisme ma chère princesse, lui répondis-je du tac au tac.
- Qu'est-ce que tu peux être agaçant ! siffla mon interlocutrice. Et puis arrête de m'appeler comme ça.
- On me le dit souvent figure toi ! Et je trouve ça mignon, moi...
Elle laissa entrevoir quelques secondes des rougeurs sur ses joues avant de se ressaisir et de replacer tous les pions au bon endroit sur le plateau.
- On enchaîne, grogna Temari.
- Très bien princesse, dis-je avec grand sourire.
Elle se leva et me frappa délicatement la tête en signe de punition.
- Idiot, souffla-t-elle en partageant mon sourire. »
Évidemment, je remportais cette partie et la suivante. Elle s'était de nouveau murée dans un profond silence qui pouvait passer pour de la concentration mais qui cachait quelque chose. Au bout d'un moment, je me décidais à prendre la parole et lui posai plusieurs questions sur l'endroit dans lequel nous nous trouvions, sa disposition et son contenu.
Elle hésita, me regarda fixement puis se lança et m'expliqua donc que cette pièce était, d'après ses souvenirs retrouvés et les conversations avec ses frères, la salle de jeu d'enfance des enfants du Kazekage Quatrième du nom. Kankuro avait insisté pour qu'elle reste tel quel lorsque Gaara avait énoncé l'idée de la réhabiliter.
En effet, elle et le marionnettiste y passaient le plus clair de leurs journées. Cette pièce avait été habilité spécialement pour qu'ils puissent s'instruire et profiter. Mon amnésique affectionnait cet endroit et avait tenté à plusieurs reprises d'y introduire son plus jeune frère, mais son père arrivait et le chassait, inéluctablement.
Le Kazekage Quatrième du nom avait donc engagé une personne chargée de s'occuper de ses deux plus vieux enfants. C'est cette personne même qui avait appris à Temari à jouer au shōgi. « Elle m'a même parlé de ton père, une fois » avait-elle dit en riant.
Elle continuait de me raconter son enfance et l'horloge en face de moi défilait. Elle souriait à chaque anecdotes qui lui venait à l'esprit et m'entraînait dans sa bonne humeur. J'étais heureux de voir que des souvenirs s'empilaient et retrouvaient leur place auprès de sa mémoire. Elle était en train de se redessiner mentalement sa vie et c'était l'essence même de notre voyage au village caché du sable.
Puis, au bout d'un certain temps, je l'interrompis et posai une question qui me taraudait depuis son arrivée.
« Pou-pourquoi es-tu encore debout à cette heure, Temari ?
Elle resta silencieuse.
- Il est tard, tu devrais dormir... Je-je n'aime pas te voir fatiguée, poursuivais-je en tentant de la faire parler.
Elle bougea sa main et tira sur sa main par nervosité. Ses lèvres remuaient dans le vide, avant qu'un son me parvienne crescendo aux oreilles.
- Je... je n'arrive pas à do-dormir. Je n'ai plus, plus de repères, je ne me sens en sécurité nul part... Elle marqua une pause. Je ne me sens pas en sécurité s-sans toi... »
J'étais abasourdi par ces paroles, impressionné par sa franchise et gêné par sa révélation. Je restai figé, incapable de réagir ou de lui répondre. Temari avait réussi à me rendre silencieux. Elle m'avait déstabilisé, et j'étais incapable de prononcer le moindre mot devant elle, le regard pleins d'hésitations.
En guise de réponse, je levais ma main et la posais sur celle de ma blonde. Je la serrais puis la déplaçais sur le plateau de shōgi pour l'inciter à jouer. Elle me regarda avec insistance.
Puis, comme si elle avait compris mes pensées, elle exécuta le geste que je souhaitais qu'elle fasse. Comme par magie, comme pour tout oublier, l'ambiance redevint la même qu'avant ses révélations quelque peu troublantes.
Trois parties plus tard, je sentais mes paupières s'alourdirent à nouveau. Mes gestes étaient hésitants et mon esprit tournait au ralenti. Je luttais contre le sommeil et tentais de suivre le jeu qui se déroulait.
Soudain, ma tête bascula et se retrouva parallèle à la table. Je me mis très rapidement à ronfler et restais immobile. Devant moi, une blonde soupirait, un demi sourire moqueur sur les lèvres. Elle se leva, contourna la table et vint se placer à côté de mon corps inerte.
Elle me mît lentement entre ses bras et me souleva. Elle marcha d'une douce allure jusqu'au sofa à l'extrémité de la pièce et m'y déposa tout aussi délicatement qu'elle m'avait pris. Elle m'enleva ma veste ainsi que mes chaussures et mon pantalon en toile. Elle détacha mes cheveux et commença à les brosser avec ses doigts. Une couverture réchauffa mon corps inerte et ralentit mes ronflements tandis qu'un petit rire se fit entendre. « J'imagine que c'est le reste de son rhume. » était audible.
Temari s'assit sur l'autre partie du canapé et s'allongea. Elle leva ses bras puis les posa de façon à m'entourer. Sa respiration se cala sur la mienne, le calme régnait et des sourires se dessinaient sur nos lèvres respectives, visibles malgré la pénombre.
Quelques dizaines de minutes plus tard, la sunienne rouvrit doucement les yeux, se retira sans bruit et se mit debout. Elle se pencha pour me regarder et déposa un léger baiser sur mon front. Elle me regarda encore puis tourna les talons et referma la porte de la salle.
Ses chaussures claquaient légèrement contre le sol du couloir et ses mains tremblaient et gesticulaient dans l'espoir de faire disparaître le coup de chaud qu'elle venait d'avoir. Son corps venait de s'emballer à nouveau pour lui. Et cela n'augurait rien de bon, même sans tous ses souvenirs en possession. Elle avait été proche, trop proche de celui à qui elle se raccrochait depuis son réveil. Elle avait effleuré sa peau maintes fois mais ce soir se distinguait des autres.
Durant le trajet qui la menait à sa chambre, elle pria pour que je ne me souvienne de rien (quelle ironie, réalisa-t-elle lorsqu'elle se pencha par la suite sur son propre cas) et que demain, tout redevienne comme avant. Avant son accident, avant ma rencontre, avant cette soirée. Elle voulait endosser à nouveau l'image de la femme forte et ne plus la quitter. Car ce n'était pas qu'en surface, Temari était forte et elle voulait le devenir à nouveau. Et ressentir un phénomène très étrange envers un individu n'allait que lui compliquer la tâche.
Enfin, c'est ce qu'elle pensait...
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Mémoire vagabonde [Shikatema]
FanfictionQue diriez-vous si une femme galère débarquait comme ça, dans votre village natal, n'ayant plus de souvenirs et ne connaissant plus que votre prénom ?