Je t'aime

1 | De l'autre côté

"Je t'aime, Clarke."

La voix de Bellamy, profonde et grave, ne tremble pas au moment où les mots passent le seuil de ses lèvres. Clarke ne peut malheureusement pas en dire autant de ses mains. Elle raffermit sa prise sur son arme, stabilise son index sur la gâchette et vérifie que la tête de Cadogan, qu'elle visait une seconde auparavant, n'a pas quitté sa ligne de mire.

Ce sont les yeux suppliants de Bellamy qu'elle rencontre encore une fois au moment où il réajuste sa position devant son nouveau leader afin de protéger la vie du gourou de son propre corps.

"Je suis amoureux de toi, Clarke," répète-t-il. "Et je suis désolé que tu aies à prendre une décision aussi difficile, car je hais l'idée que tu puisses souffrir autant— Mais si tu veux le tuer, tu devras me tuer aussi..."

Il scelle sa promesse en verrouillant sa mâchoire. Le pli de ses lèvres se ferme sur une expression résolue. Ses yeux bruns sont déterminés, prêts à affronter ce qui l'attend. Il est loin le Bellamy de leur arrivée sur Sanctum, rendu fou par l'éclipse. Le Bellamy prêt à tout pour la sécurité des siens, même si cela signifiait noyer John Murphy et étrangler la femme qu'il déclare aujourd'hui aimer de ses propres mains. Et si Clarke se demande pourquoi l'éclipse ne l'affecte pas, cette fois, elle sait que la réponse à sa question n'est pas ce qui importe à cet instant.

"Bouge, Bellamy."

Peut-être que c'est d'ailleurs l'éclipse qui suit actuellement son cours au-dessus de Sanctum qui fait perdre à Clarke le fil de ce qui devrait être important dans les dernières paroles de Bellamy. Ou peut-être sont-ce juste les derniers jours, les dernières semaines, voire les dernières années de sa vie et toutes les épreuves qui l'ont rongée petit à petit qui lui font perdre de vue ce que son cœur lui crie de remarquer. Le jeune homme vient juste de lui déclarer qu'il l'aimait, après tout.

Pourtant, tout ce que Clarke voit à cet instant, c'est l'arme dans le creux de sa propre paume, et le regard fou et inquiet de Bill Cadogan derrière la silhouette de Bellamy. Tout ce que Clarke entend à cet instant, c'est sa tête qui lui crie qu'elle ne veut pas d'une dernière guerre, même si c'est celle-là même qui mettra fin à toutes les autres. Elle a déjà vécu assez de guerres pour toute une vie. Tout ce qu'elle veut, c'est la paix. Et le moyen le plus rapide et efficace y arriver, c'est de coller une balle dans la tête de cet égoïste, narcissique, pseudo-dieu et soi-disant guide de Bill Cadogan.

Elle doit le faire. Pour sa famille, pour ses amis, pour son peuple. Pour toute l'humanité, pense-t-elle ironiquement. Si cela n'est pas un oxymore vivant, qu'est-ce que c'est ? Elle aimerait partager cette plaisanterie avec Bellamy. Seul lui serait capable de sourire à un humour aussi noir. Mais elle ne peut pas, parce que Bellamy n'est pas à ses côtés, il est de l'autre côté du canon, sur la trajectoire de la balle qu'elle réserve à Cadogan.

"Je t'ai dit de bouger !" s'écrie-t-elle quand son compagnon ne se déplace pas d'un pouce.

Bellamy déglutit lentement, douloureusement, puis répond :

"Je ne peux pas. Je sais que tu crois que je suis devenu fou sur cette montagne. Je sais que tu crois que je me suis perdu, que je ne sais plus ni qui je suis, ni ce que je dis ou ce que fais..." Son regard sombre rencontre le sien et déverse sur elle son trop plein d'émotions : tendresse, dévotion, espoir et désespoir intrinsèquement liés ; juste avant d'assener sa preuve, sa vérité. "Mais c'est toujours moi, Clarke... Si je n'étais pas moi, je ne pourrais pas te dire—" Il se bat une seconde avec les mots, comme si les prononcer allait à l'encontre de la personne qu'il essaie désespérément de devenir, à l'encontre du dogme qui lui enseigne désormais de ne plus éprouver d'amour égoïste, mais seulement un amour unique et indifférencié pour chaque être vivant. "Je ne pourrai pas te dire que je t'aime. Et je t'aime tellement, Clarke... Et depuis si longtemps—"