Je suis dans un état second.
Je le sais, mais j'ai beau me secouer mentalement, je n'arrive plus à réfléchir. L'esprit brumeux, je n'aperçois plus que du flou autour de moi. Le monde n'est pas mort mais je me demande un instant si ce n'est pas moi qui suis devenu un fantôme. Les ombres passent devant mes yeux mais je ne vois rien, je n'entends rien. Mon corps est figé, je ne sens plus rien non plus. Suis-je blessé ? Non, j'arrive finalement à faire un pas et ce geste machinal est le déclic qui me manquait.
Vivant. Je suis toujours vivant.
Peu à peu, je prends conscience de ce qui m'entoure. Je vois les corps sans vie, les gravats, quelques flammes restantes. Partout, la fumée, la poussière et le sang. Se mouvant péniblement dans ce décor éteint, il y a encore quelques silhouettes mais je n'arrive pas à comprendre ce qu'elles font. Peut-être ne le savent-elles pas non plus.
J'ai envie de m'effondrer, je suis épuisé, pourtant je persiste. Je veux garder les yeux ouverts. Et à mesure que je regarde, je reconnais par-ci par-là des démarches ou des chevelures : d'autres ont survécu. Puisqu'ils me sont familiers - sans pouvoir les identifier avec exactitude - et surtout qu'ils passent sans me regarder, sans vouloir me tuer, j'imagine que nous avons gagné.
Même cette pensée ne m'ôte pas la lassitude. La bataille a duré si longtemps... Je ne me souviens plus pourquoi il fallait gagner.
Soudain, un mouvement attire mon regard. De long cheveux blonds passent devant moi et je me remets d'un coup à respirer. Je me précipite vers elle mais c'est un visage inconnu que je rencontre alors. L'adrénaline me reprend immédiatement. Où est-elle ? Mes jambes fébriles reprennent de l'assurance pour arpenter en courant les couloirs à moitié détruits du château. Aucun son ne sort de ma bouche sèche, alors je guette la moindre trace d'elle, espérant qu'elle ne soit pas bloquée sous un morceau de roche, ou pire. Pour m'empêcher de réfléchir, j'accélère encore.
Pitié, pas elle. Plus que tout au monde, je veux la revoir. Sa bienveillance a trop souvent été le dernier rempart contre mon désespoir durant cette année à Poudlard pour imaginer la vie sans elle. Comment pouvais-je espérer vivre après cette guerre sans voir ses yeux pétiller, sans entendre son rire ? Pourquoi se donner la peine de se reconstruire quand on n'a pas sauvé la personne que l'on aime ?
Elle ne sait même pas que je l'aime. Elle a sûrement dû défendre une autre aile de l'école car, même pendant la nuit de cessez-le-feu, elle est restée introuvable. "Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé" je me répète pour la centième fois, comme si cela pouvait changer quoi que ce soit.
Je suis prêt à changer de stratégie et à aller demander de l'aide pour la retrouver quand je l'aperçois enfin. Par terre, elle a le visage gris de poussière, ses fameux cheveux emmêlés et ses vêtements abimés mais elle me sourit. Je m'approche rapidement, et au moment où je me demande pourquoi elle ne fait pas de même, je vois. Sa jambe est retenue sous une poutre, vraisemblablement tombée du toit. Lorsque je relève la tête vers elle, elle me regarde. Je tressaille sous son expression si douce. Elle a dû rester bloquée, sans défense, pendant plusieurs heures mais elle n'exprime aucune inquiétude, comme si elle savait qu'on allait venir l'aider. Pour me donner une contenance, je décide de m'atteler à la tâche et pointe ma baguette vers la poutre.
"Wingardium leviosa", prononcé-je imperceptiblement.
Fini le faible Neville qui doute de ses capacités, le morceau de bois m'obéit docilement. Une fois certain qu'elle ne risque plus rien, je relâche mes efforts, laissant tomber l'objet au sol sans un bruit, et me jette aux côtés de Luna.
"Merci Neville", me souffle-t-elle alors doucement d'une voix enrouée.
Elle est à présent en état de marcher, si je lui sers de béquille, vers la Grande Salle où Mme Pomfresh s'occupera d'elle bien mieux que je ne pourrais. Il faut que je lui dise maintenant, avant que nous rejoignions tous les autres. Avant d'avoir eu le temps d'ouvrir la bouche, elle se tourne vers moi. Elle hésite une seconde, le visage tendu, cherchant ses mots.
Finalement, elle désigne ses lèvres du doigt et j'y devine quelques mots "Je ne peux pas...". Un peu perdu, je remonte mon regard pour croiser le sien et son secouement de tête me confirme ce que je commence à comprendre. J'écarquille imperceptiblement les yeux. Comment peuvent-ils être si cruels pour lui infliger ça ? Je saisis ses mains, essayant de lui transmettre mon soutien.
"Luna, il faut que tu..."
Je m'arrête, stupéfait. Je suis certain d'avoir parlé. Pourtant, aucun son ne retentit. Je me recule, ne sachant plus quoi faire. Luna semble presque aussi désemparée que moi. Elle me regarde d'un air interrogateur désormais, mais je n'ai pas de réponse à lui offrir. Serais-je devenu muet à cause d'un mauvais sort ? Ses lèvres bougent et je reconnais un "Ça va ?" articulé.
Non, ça ne va pas. J'ignore la blonde inquiète appuyée au mur et je me tourne vers le ciel, hurlant de toutes mes forces. Ma gorge commence à me brûler mais rien, pas le moindre son. Je sais qu'elle m'a entendu crier, mais je ne suis plus capable de faire de même. Alors je recommence, encore et encore, jusqu'à ne plus avoir de souffle, jusqu'à tousser de souffrance. Mais je recommence, parce que je veux entendre ma voix, je ne veux pas de ce vide étouffant.
Une main se glisse tendrement dans la mienne et m'attire. A bout de force, je me laisse aller dans ses bras. Je suis éreinté et des larmes, silencieuses, se mettent à couler sur mes joues. Je sens un doigt venir les essuyer délicatement et je me reprends. Luna pose ses mains sur mes joues et je ferme les yeux sous ce contact apaisant. Le temps d'une seconde, je ne suis plus seul et le vide silencieux s'estompe. Pourtant, je la sens s'écarter doucement. Alors que je ne sais plus à quoi m'attendre, je sens ses lèvres venir contre les miennes. C'est un baiser lent, tendre, plein d'amour.
Quand nous nous séparons, nos regards s'accrochent. Elle articule lentement : "Dis-moi". Ses yeux m'encouragent à lui parler. Parce que c'est elle, j'ose, tentant de le faire le plus normalement possible.
"Je voulais que tu saches que je t'aime, Luna Lovegood"
Le sourire qui apparait éclaire tout son visage et me fait oublier le monde. Il n'y a que nous deux, plus que ses lèvres qui bougent pour former : "Je t'aime aussi".
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Sans un bruit
FanfictionLa bataille de Poudlard a dévoilé le vrai visage de chacun, dans toute l'horreur et toute la violence dont l'être humain est capable. Mais tout s'efface lorsque deux âmes se trouvent...