Partie IX

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Peux-tu me voir ?

C'était une question qui l'obsédait. Inlassablement. Tournant au gré de ses humeurs ombrageuses. Elle continuait d'y croire. Peut-être qu'aujourd'hui cela allait se stopper. Qu'un individu dans cette masse grouillante allait la croiser et non pas juste la frôler. Peut-être qu'un homme ou une femme allait se cogner contre ses cellules.

Pour toujours.

L'espoir la gardait éveillé des heures durant, les yeux piquants, les mains éparpillées sur ses draps, le front suintant.

Ses longues réflexions la menaient à déterminer son manque de vivacité, de combativité.

Bien sûr qu'il lui était impossible de comprendre, d'entrevoir une lueur dans ces nébuleuses prédatrices.

Il n'y avait rien d'imparfait dans l'ombre de sa minutieuse démence.

Elle ne pouvait couper son cœur de sonder sans cesse, quitte à la faire pleurer sans raison. Ce n'était qu'une ombre qui finirait par s'évaporer au coucher du soleil.

Ce n'était que la tentatrice et goulue morsure de la splendide liberté voisine.

S'en y prêter garde, Chaeyoung se mordit la langue. Le goût brusque de ferraille morne lui rappela de relever le regard et de fixer la silhouette cabossée par la nation de leur guide.

Il fallait revenir à la réalité. Encore et encore et encore et-... Continuellement figer l'espace autour de soi. Se rendre compte que l'étrangeté de la touriste ne serait jamais rien d'autre qu'une maigre distraction.

Ou qu'elle ne serait que l'apogée d'une futur démambreuse chute forcée.

Chaeyoung prit conscience de ce qui l'entourait et comprit rapidement qu'ils venaient de fuir le ballet, à son plus grand regret.

« Voici une des sculptures dont notre école est la plus fière » lança, trop fièrement, le guide en se postant à la droite de cette beauté de marbre.

Un corps athlétique. Des courbes nettes, tranchantes, hurlantes. Un visage invisible et fondant les masses. Des jambes d'acier, travaillées par des heures de labeur dans des champs paumés près des côtes. Des bras crachant aux visages de tous la volonté des Pères. Un torse aussi creux que le morceau de chaire battante bloqué dans la poitrine de la nord-coréenne.

L'illustre masque de ce qui l'étranglait.

« Un de nos anciens élèves nous l'a léguée, continua l'homme sans perdre de sa hargne. Aujourd'hui, il peint et sculpte aux quatres coins de la capitale. Une de ses œuvres a également été exposée dans un musée réputé de New York ! »

La japonaise fixa l'objet un long moment avant de simplement dégainer son petit calepin pour y griffonner des traits maladroits et des annotations toutes aussi étonnantes, que Chaeyoung se cacha de trop zieuter par affront de curiosité.

Elle se demanda pourquoi sa voisine n'avait pas photographiée la joie des Pères ? Pourquoi elle ne se prêtait pas aux, si perfides, désillusions ?

« Nous allons continuer la visite en direction de la classe de peinture, veillez me suivre. »

Mina gribouilla un dernier ombrage avant de s'enquérir de la suite, se mouvant suffisamment pour ne pas trop mordre sur la peau de la plus jeune.

Chaeyoung, elle, se retint tout juste de rectifier l'homme : La classe d'art. Pas de peinture, d'art.

Ce qui impressionna avant tout la japonaise, fut la grandeur de la salle et sa sobriété terne.

Ce qui impressionna avant tout la coréenne, fut le visage quelque peu déconcerté et si différent de sa voisine.

And there was no one leftOù les histoires vivent. Découvrez maintenant