Fureur

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Le cri que je voulus pousser alors était telle que je me sentais capable de déchirer le ciel par la seule volonté de ma voix. Pourtant, la force qui serrait ma gorge était tout aussi bonne à faire exploser la terre sous mes pieds. Les pieds, les poings que je cognai contre l'énorme surface de glace, comme autant de coups contre une porte close, ne suffirent pas à le réveiller, ni même à fissurer sa cage. Elle demeura intacte.

« Non, non, non, non, non, balbutiai-je entre mes lèvres. Pas lui. Pas toi. Pas toi ! C'est pas vrai ! C'est pas vrai ! »

A son tour, les genoux tremblants, Elsa leva les yeux vers Jack et demeura interdite. Lorsque nous entrâmes dans le champ de vision l'une de l'autre, comme un appel, la réaction fut immédiate.

En forçant mes ailes à me déplier, je me lançai vers elle avec, une fois de plus, une nouvelle lance dans les mains. Mais cette fois-ci, je m'assurai qu'elle était bien aiguisée des deux côtés. Je la lui lançai de toutes mes forces en rugissant. De son côté, elle se protégea à temps et le roseau vint se planter dans une barrière de glace. Mais elle ne s'arrêta pas là et, en sortant de derrière son bouclier, je compris, qu'elle aussi était habitée par la fureur. Elle lança de nouveaux éclairs de glace contre moi. Cependant, je fus plus rapide et restai toujours à seulement quelques mètres de sa portée dans le ciel pour lui donner un faux espoir. N'avait-ce été ma colère, mon corps m'aurait fait souffrir le martyr tant je lui demandai d'efforts en cet instant. Pourtant, je continuai de le pousser à ses extrêmes limites. Il fallait qu'elle paie ! Que quelqu'un paie ! Des rives qui étaient demeurées intactes, j'invoquai moustiques, araignées, taons, crapauds et serpents en aide pour lancer une attaque contre elle. Surprise, cernée par ma horde, ses mains et son corps tout entier se couvrirent de nuées noires. Mais la seconde suivante, ils se congelèrent et tombèrent raides morts. A la suite, à son tour, elle lança de longues flèches de glace que j'entendis siffler tout contre mes oreilles. L'une d'elles vint se planter dans une de mes quatre ailes et, même si j'étais forcée de me poser au sol en grimaçant, je l'ignorai. La surface gelée du lac m'empêchait d'accéder à d'autres ressources de ma puissance.

Je continuai de zigzaguer au sol en avançant vers elle et, lorsqu'un unique poing de glace, haut de plusieurs mètres, se constitua dans le vide et descendit vers moi, crispé, je réussis tout juste à faire un bond de côté pour éviter l'impact. Mon coup risqué avait réussi mais le lac en trembla si fort que je me tournai vers la prison de Jack pour m'assurer qu'il ne lui était rien arrivé. Voir sa figure inerte alimenta encore ma rage. Du trou qui s'était formé dans la glace uniforme, j'extirpai de la vase par montagnes et, alors que la reine peinait à maîtriser son monstre, je la lui projetai en boulets de canon qu'elle reçut de plein fouet sur le corps, sur les bras, sur les mains. Lorsqu'elle tenta de s'en débarrasser, elle se colla à sa peau et, en la gelant, se solidifia pour former des gants de boue inutilisables. Alourdie par ses nouveaux poids, je ne la laissai pas souffler et manipulai encore des profondeurs d'immenses lianes d'algues qui vinrent s'enrouler autour de ses chevilles et l'emporter jusque dans le trou. Mon dernier coup de poker était si parfait qu'il ne me restait plus qu'à la regarder lentement glisser sur la glace jusqu'à sa perte. Moi-même je fus surprise de me délecter d'un spectacle si cruel. Elle se débattit tant qu'elle put mais bientôt, je vis sa tête blonde et affolée disparaître dans l'eau noire, suivie par quelques bulles à la surface du trou.

« Arrête ! » Entendis-je une voix appeler, comme sortie de mon crâne.

Stupéfaite, je relevai la tête vers les bois et aperçus une jeune fille à tresses rousses, en larmes, accompagnée d'un jeune homme blond qui pointait une arbalète vers moi.

« Relâche-la. Je t'en prie, relâche-la ! »

Anna, en me suppliant, joignit le geste à la prière et tomba à genoux dans la poussière sous les yeux de son ami qui la regarda, incrédule. Alors je m'aperçus qu'ils n'étaient pas venus seuls. Comme ils l'avaient souhaité, des soldats les avait suivis jusqu'à mon royaume, mais également des villageois et quelques enfants étonnés. Parmi eux, incapable de comprendre se qui se passait sous ses yeux, il y avait Jamie. Lui aussi avait le visage baigné de larmes. Il me semblait maintenant être arrivée à la fin du dernier acte d'une pièce supposée se finir très, très mal.

Jack F., Elsa et moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant