Chapitre 1. Mystérieux Raf.

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Septembre.

J'avais du mal à croire que je descendais de ma vieille Toyota grise, après avoir parcouru plus de six cents bornes sans presque m'arrêter. Je venais de me garer devant la librairie Words and Waves de Santa Amalia, sur Main Street, au milieu de l'après-midi. Ébloui par le soleil californien, je remis mes lunettes de soleil. L'océan Pacifique miroitait plus loin. Les gens se promenaient avec nonchalance, moins nombreux sûrement qu'en plein été. Les bâtiments et les magasins, surf shops, coffee shops, boutiques de fringues de sport, étaient basses et colorées. La devanture en bois de la librairie, peinte en bleu et blanc, était attrayante, avec les derniers romans coups de cœur présentés en éventail, et entourés de petites planches de surf colorées en guise de décoration.

J'avais du mal à croire que la veille encore, je croupissais en Utah, derrière les rideaux fermés de ma chambre. Personne dans ma famille n'avait eu envie d'être avec moi cet été-là. Même pas moi, d'ailleurs. Je me détestais, je détestais les regards méprisants de mon père, ceux, résignés, de ma mère, et les ricanements de ma sœur.

St George, « Utah's dixie », comme on disait à l'époque de la culture (non rentable) du coton, était pourtant une ville ensoleillée, magnifique et touristique, avec tous les parcs nationaux qui l'entouraient. Cependant, je ne la supportais plus. L'endroit était aussi connu pour avoir vu naître le père de la religion Mormone, George Smith. Mes parents n'étaient pas mormons mais la famille Matthews n'était pas réputée pour être douée dans les sentiments ou pour sa tolérance.

Il y avait eu l'appel de ma tante, en fin d'après-midi. Nous ne nous attendions pas à ce coup de fil, parce que nous n'avions jamais été proches de tante Faith et d'oncle Gary, le frère de mon père. Mon oncle était mort prématurément des suites d'un AVC plusieurs semaines auparavant, mais personne n'était allé à son enterrement. Un envoi de fleurs et une carte de condoléances avaient été les seuls gestes de mon père.

Ma mère avait mis le haut-parleur. Ma tante Faith souhaitait savoir si ma sœur Kiara ou moi avions besoin d'un job, parce qu'elle, elle avait besoin de quelqu'un pour l'aider à la librairie. Peu importait que nous ayons si peu de liens, elle ne voulait pas gérer l'affaire de son défunt mari avec un étranger. J'étais sûr que ma sœur aurait ricané si elle avait été présente, cette sale peste homophobe, mais elle était déjà retournée à Berkeley.

Tante Faith se souvenait qu'enfants, ma sœur et moi aimions lire. Cet amour était devenu une passion et un refuge pour moi, tandis que Kiara ne lisait plus que ce qu'on exigeait d'elle dans le cadre de ses études, dont mes parents étaient si fiers.

Mais tante Faith l'ignorait, tout comme elle ignorait les conséquences de mon coming-out. J'existais à peine depuis mon annonce. Si tant est que j'avais existé davantage durant mon enfance et mon adolescence. J'en avais juste eu marre de me taire sur celui que j'étais. Ça m'étouffait, ça hurlait en moi, et c'était sorti, un soir, à table, au début de l'été. Mes parents et ma sœur s'en doutaient, mais le dire rendait leur déception encore plus concrète. De toute façon, il n'y en avait jamais eu que pour la brillante, flamboyante, ambitieuse et odieuse Kiara.

— Eh bien, peut-être que Kerrigan pourrait essayer, avait suggéré ma mère à l'adresse de ma tante.

— Ce petit con n'a jamais pu garder un seul emploi, avait crié mon père, assez fort pour que sa belle-sœur entende.

— C'est oui ! J'accepte ! avais-je crié encore plus fort.

Poussé par l'envie d'aller voir ailleurs. Exalté. Submergé à l'idée qu'on croie enfin en moi, qui sait. Que je croie en moi. Étonné de ne pas être incertain, comme si je sentais que cette fois, la balance pouvait peser en ma faveur.

Avec toi, le temps court autrement, roman édité, 5 chapitres disponiblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant