Le temps est un éternel recommencement et des choses toutes bêtes et toutes simples vous ramènent régulièrement à ce constat. Je me rappellerais toujours cette journée dans le parc, je n'avais qu'une douzaine d'années. Mon grand-père s'était éteint il y a de cela quelques mois et c'était la première fois que je remettais les pieds dans ce parc. Dorénavant seul. Autrefois il m'avait rattrapé de justesse tellement de fois avant que mes genoux s'écorchent sur le gravier du chemin. Il m'avait montré que la magie n'existait pas que dans les livres, si on était prêt à la voir dans les choses simples. Il m'avait appris à avoir un regard nouveau, un regard qui ne s'éteindrait jamais malgré les années. Il avait attrapé une pierre plate et m'avait montré comment elle pouvait rebondir sur l'eau. Il m'avait appris que les adultes s'habituent, trouvent tout ce qui est extraordinaire, ordinaire, seulement parce que leurs yeux se sont posés trop de fois dessus. Chaque nouvelle rencontre, chaque nouvelle respiration est un cadeau.
Tous les dimanches matin, il m'emmenait dans ce parc, me rattrapait et me montrait une fois encore comment créer de la magie avec une simple pierre et un court d'eau. Le souvenir de son sourire quand il voyait mes yeux s'emplirent d'étoiles, personne ne pourra jamais me le voler. Seulement, en grandissant, j'ai failli perdre sa leçon. Au lieu de vouloir prendre mon temps, apprendre à faire de la magie, j'utilisais les cailloux autrement. J'étais tombée dans la préadolescence et j'avais fabriqué un lance-pierre. Au lieu de faire corps et harmonie avec la nature, je tentais toujours de viser ce pauvre écureuil qui se rappelait peut-être l'enfant que je fus avant. Un ricanement mauvais et stupide sortait du fond de ma gorge à chaque fois que je voyais le pauvre animal détaler. J'étais idiot, je voulais ressembler aux autres garçons. J'aurais été le petit garçon le plus malheureux du monde si j'avais atteint, ou même seulement, frôlé ma cible. Ce ne fût que quelques mois avant qu'il ne parte que je soupirais à la façon dont il maniait ses pierres, alors que les miennes montraient le prédateur qui était tapis au fond de mon être. Il n'a jamais perdu espoir, il continuait de me montrer la bonne façon d'utiliser les pierres.
Une fois, j'avais un chat dans le viseur avec mon lance-pierre, il me montra comment sa magie permit de me déconcentrer et m'empêcha de commettre un acte que j'aurai regretté. Il avait attrapé un pissenlit en fleur et soufflé simplement les pétales sous mes yeux, me brouillant la vue, mais aussi de mon objectif puéril et incroyablement mauvais au fond. Il m'apprit qu'être un homme sensible ne voulais pas dire être un homme faible. Une nouvelle fois il me donna une leçon que je n'eus retenu aussi qu'après son dernier souffle. On nous donne les mots, mais ce sont seulement les actions et les événements de nos vies qui nous permettent de comprendre et d'assimiler les leçons. Quand ma mère m'apprit le décès de grand-père, je n'eus pas la force de le voir. J'offris seulement l'objet de notre discorde à ma grand-mère, en lui demandant de bien lui dire que j'étais désolé, que j'avais retenu la leçon. Je deviendrais un vrai magicien comme lui.
Certains appellent cela le hasard, d'autres le destin, pour moi ce ne sont que des leçons de plus que mère nature nous envoie quand elle pense qu'on est en âge d'assimiler les leçons. Toujours est-il qu'après plusieurs mois sans parler, ou pratiquement pas, j'étais dans ce parc, sans celui qui empêchait chacune de mes chutes. Au pied d'un banc, je cherchais la pierre parfaite pour jouer au magicien. Il y avait cet homme aux cheveux blancs avec sa caquette et qui m'offrait le même regard bienveillant qui ne pourrait plus jamais se poser sur moi. Cet homme me troubla, mais je ne dis mot. A ses pieds je volais une pierre du parc, parce que cette dernière me semblait parfaite. Mon lancé parti, un son d'étranglement derrière moi me fit me retourner sans pouvoir admirer ma magie opérer. Le vieil homme s'étranglait avec un morceau de sandwich qu'il avait laissé tomber sur le sol, près de l'emplacement de la pierre qui continuait de rebondir sans moi. Je voyais à son visage qu'il n'arrivait plus à respirer et mon cœur s'emballa. Je parvins à sauver cet homme en me remettant à parler, à arrêter les passants et alertant toute personne qui croisait mon regard. Un homme avec son chien comprit l'urgence de la situation et parvint à sauver l'homme à la casquette alors qu'il m'avait confié la laisse de son être le plus cher. La force d'un homme vient aussi du collectif, de la confiance que l'on peut placer dans un simple regard. Être un homme sensible faisait de moi une personne bien plus forte que ce garçon ridicule qui voulait atteindre un pauvre animal. A travers le maître de ce chien si calme près de moi, je comprenais qu'il faisait parti des personnes empathiques, des personnes capables de sauver une vie. Qu'il y a-t-il de plus puissant en ce monde que de pouvoir maintenir une vie ?
L'animal me lécha la main en signe de réconfort alors que son maître appelait un médecin près du parc pour qu'il puisse examiner l'homme qui était maintenant sorti d'affaire. Curieusement, ce fût le regard de l'animal qui me happa, un peu de magie en plus. Il m'avait fait comprendre que j'avais bien fait, que si j'avais le droit au réconfort, c'est parce que je n'étais pas un mauvais garçon. J'y voyais un signe de mon grand-père qui avait rejoint les étoiles. Je me rappelais cette boule coincée dans ma gorge, j'avais envie de pleurer pour une raison qui semblait complètement m'échapper. Puis le maître revint près de son animal. Je ne me rappelle plus ses mots, mais seulement d'avoir eu le droit à un décoiffage en règle. Je me rappelle seulement qu'il m'avait dit que je pouvais rentrer chez moi, que le vieil homme était maintenant entre de bonnes mains.
J'ai bien cru que le sandwich serait le dernier de ce pauvre homme et curieusement, à chaque fois que je m'en fais un, je repense à cette journée. Je n'en ai parlé à personne, c'est une magie qui m'est réservée. La valeur des bonnes actions se révèlent bien plus forte quand on les garde pour soi, je ne voulais pas être un héros. Seulement un magicien. Je voyais aussi, entre ces deux tranches de pain, une autre leçon. C'était pour moi le tout premier plat que j'avais été capable de confectionner tout seul. Il me rappelait aussi celui posé dans un coin de la cuisine, que ma grand-mère avait fait pour elle, mais qu'elle avait été incapable d'avaler au moment du départ de son mari. Je voyais dans le sandwich un élément qui montrait le perpétuel recommencement. Enfant, on apprend à le faire parce que c'est facile, adulte c'est pour être rapide, vieux, cela redevient l'option de facilité. On finit tous par devoir gravir la montagne pour la redescendre. L'homme empathique aura au moins la chance d'être appuyé par ses proches au moment d'atteindre le bas. C'était sans doute une autre leçon que mon grand-père aurait pu m'enseigner.
En voyant mon jeune fils s'aventurer dans la cuisine pour m'imiter, je me surpris à avoir un sourire que je connu sur le visage d'un autre. Avant de faire une grimace en le voyant mélanger le beurre de cacahuètes avec du jambon. Je surpris son visage penché sur la fenêtre. La pluie battait son plein. « Papa... C'est bien pour les plantes de dehors, mais comment font celles de dedans ? » Je pris mon temps avant de répondre, admirant l'eau s'écraser sur les carreaux. « Je vais te montrer de la magie. » arguais-je avec la plus grande des assurances. « Je peux demander à la pluie de venir se réfugier dans un socle pour s'arrêter un moment et la refaire vivre à l'intérieur pour les plantes ! » Dans un placard je sortais alors l'arrosoir et allait sous la pluie qui me martelait la peau, déposant l'objet qui serait mon principal instrument magique. Je finissais par m'asseoir par terre et mon enfant m'imita. Derrière les carreaux, la pluie ne cessait de chanter, jusqu'à ce que le temps finisse par s'apaiser. L'eau ruisselait sur l'arrosoir et je l'attrapais avant de revenir une nouvelle fois à l'intérieur. « Sache que l'on ne piège pas la pluie, elle est libre de partir, elle nous offre juste son aide pour les plantes de la maison ! » Sur ce, mon petit me suivit émerveiller jusqu'à nos plantes et doucement, je penchais l'arrosoir pour lui montrer que la pluie reprenait sa course. Je remarquais les mêmes étoiles que j'avais eu jadis. La magie est partout si on y prête assez d'attention. Je m'assurerais que personne ne puisse lui prendre ses étoiles. Je lui apprendrais à devenir magicien à son tour.
« Tu veux essayer ? »
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Le garçon et le magicien
Short StorySandwich - Lance-Pierre - Arrosoir Ce sont les trois mots qui ont inspirés cette courte nouvelle.