Chapitre 8

6 0 0
                                    

La nuit était tombée. Une ombre agile escaladait une haute tour. Elle s'envola pour atterrir sur un toit, courut jusqu'à la tour suivante qu'elle escalada habilement. Elle poursuivit ainsi jusqu'à avoir atteint un des rares sommets de la calme ville portuaire d'Al-Chen. Là, elle se mit à réfléchir. Des mois étaient passés, son esprit s'était empli de nouveaux souvenirs mais les précédents n'étaient pas revenus. Elle songea à ses souvenirs retrouvés, évoquant des moments de bonheur ou de tristesse. Sa sœur lui manquait. Puis elle songea à sa mission, qu'elle n'avait toujours pas accomplie. Quelle pouvait-elle bien être ? Le Rentaï ne la lui avait pas rendue. C'était en tout cas quelque chose qui ne dépendait pas d'un évènement proche, sinon, elle ne serait vite plus en mesure de l'accomplir et son maître l'aurait aidée. Devait-elle trouver quelqu'un ? Cela semblait être une bonne idée. Mais qui, et surtout, pourquoi ? Qu'avait cette personne pour que cela intéresse son maître ? Et ce ne devait pas être quelqu'un de bien dangereux, après, tout, elle restait une novice. Il ne l'aurait pas envoyée dans une quête périlleuse comme celle d'Ewilan, la légendaire dessinatrice, tout de même... La jeune fille avait délivré les sentinelles et le Dragon de la Dame tout en déjouant un complot visant à renverser l'Empire.

« Un complot visant à renverser l'Empire ». Ces mots trottaient dans la tête de la Marchombre, assise sur le rebord d'un toit, le lac Chen déployée devant elle. Son maître ne l'aurait tout de même pas liée aux puissants ? Ces mots évoquaient pourtant un écho en elle. S'en armant, elle entama une lutte mentale contre les verrous de sa mémoire. Quelque chose était sur le point de céder, et elle voulait s'en rappeler. Un mal de tête s'empara d'elle et la sueur commença à couler sur sa peau. Un complot... l'Empire... Cède !

Un pic de douleur surgit, elle se pencha instinctivement en avant, chuta dans le vide et se rattrapa au bord du toit d'une main, par pur réflexe. Balançant ses jambes, elle remonta sur son perchoir, s'éloigna du bord, s'allongea pour ne plus prendre de risques et reprit sa lutte interne. Elle y était presque ! Les mots avaient un pouvoir et elle s'en servait pour lutter contre le puissant dessin qui lui barrait l'esprit. Une fente apparut enfin et elle se précipita pour récupérer les souvenirs liés à ces termes. La lumière se fit enfin. Elle bondit sur ses pieds et partit à toute allure. Elle avait besoin d'un dessinateur. Ses amies devaient être informées de ce dont elle venait de se souvenir et les informations étaient capitales. 


Quelques semaines plus tard.


Trois jeunes femmes, de dix-huit ou dix-neuf ans étaient attablées. Elles semblaient plutôt graves et silencieuses, ce qui détonnait dans l'atmosphère joviale de l'auberge. Mais cela n'était pas sans raison. Hanæ avait informé Lauwe et Elléa qu'elle avait fait une découverte dont elle désirait leur parler en secret. Elle commença par raconter comment elle en était venue aux mots de « complot contre l'Empire », puis poursuivit avec sa bataille mentale. Les deux autres l'écoutaient avec impatience. Finalement, Hanæ raconta enfin ce qui lui était revenu.

- Je ne sais plus si je vous l'ai dit, mais mon maître m'a donné une mission, avant ma perte de mémoire et, malgré le fait que je ne m'en rappelle plus, il m'a demandé de la mener à bien. C'est de cela dont je me suis rappelée, je pense qu'il s'agit de la raison pour laquelle nous avons toutes perdu la mémoire. Il y a un complot contre l'Empire. Elle fit une pause puis poursuivit, c'est ce complot que mon maître m'a demandée de déjouer. Et je me suis rappelée ce qu'il s'est passé.

Les deux filles l'écoutaient sans dire un mot, fascinées et concentrées. Cela leur évoquait-il quelque chose ? Mais le verrou était puissant et la sollicitation des mots ne suffisait pas. Alors elle continua à raconter :

- J'ai mené mon enquête, j'ai trouvé des noms, j'ai compris ce qu'il se passait mais il me manquait des preuves. Alors j'ai espionné pendant des jours, j'ai trouvé où aller voir et quand entrer. J'ai tout planifié, j'ai escaladé la tour puis je me suis introduite dans une chambre. Je me suis faufilée jusqu'à l'endroit où était gardées les preuves et, quand je suis arrivée, après avoir lutté contre la serrure, je t'ai trouvée là, Elléa.

La dessinatrice se montra surprise puis elle tenta de se rappeler de la suite. Comme elle avait échoué, Hanæ reprit :

- J'ai failli t'attaquer mais tu t'es rendue, tu m'as expliquée que tu étais en cours de dessin puis que tu t'étais retrouvée ici, dans l'ancien bureau de ton père, avant que vous ne déménagiez. Cet endroit était devenu le cœur du complot et tu avais pu y effectuer un pas sur le côté puisque tu y avais déjà été.

Elléa était bouche bée. Elle savait effectuer un pas sur le côté ? Elle ? Bon, il était vrai qu'elle ne se souvenait plus de ce qu'elle savait faire à l'époque, mais son don ne lui semblait pas si puissant. Et elle n'aborderait ce chapitre essentiel de l'Art du dessin que dans un an.

- C'était la première fois que tu en faisais un et tu ne savais pas quoi faire. Je ne pouvais pas abandonner ma mission alors j'ai laissé tomber la méfiance et je t'ai demandé de l'aide. A nous deux, nous avons trouvé les papiers qu'il me fallait mais pour s'enfuir, je ne pouvais pas te laisser, tu étais incapable de repartir seule. Alors nous avons tenté de traverser la tour, mais nous nous sommes fait prendre. Ils ont effacé notre mémoire pour nous faire oublier nos découvertes, nous ont blessées pour renforcer l'action du dessin et les autres blessures venaient de notre combat, puisque nous ne nous sommes pas rendues si facilement. Mais voilà ce qu'il s'est passé.

Les deux filles était silencieuses, prises par ces révélations. Elléa se prit soudain la tête à deux mains et retint un cri. Elle luttait contre le barrage mental bien ébranlé par tout ce qu'elle avait appris. Refusant de céder, elle mit sa Volonté – ce cercle rouge dont elle se souvenait si bien – dans la bataille et poussa. Elle voulait gagner ! Elle devait gagner ! Et elle gagna. Elle s'effondra mais avait l'esprit intact. Lauwe se pencha vers elle et, voyant son sourire, comprit ce qu'il s'était passé. Elle se tourna vers la Marchombre et demanda :

- Je comprends ce qu'il s'est passé pour vous, mais moi ? Pourquoi je me suis retrouvée avec vous ?

- Je ne sais pas du tout. En plus, tu nous as dit que tu étais là avant, donc c'est qu'il a dû se passer quelque chose d'autre qui t'a amenée là. Mais tu en connais la raison alors peut être que cela t'aidera.

Lauwe acquiesça, un peu hésitante. Elle n'avait pas tort. Mais alors que ses deux amies avaient retrouvé la mémoire, la sienne restait défaillante, malgré les souvenirs retrouvés dans les Marches du Nord, notamment toute son enfance, et cela la minait. Seulement, avec l'information du complot, elles avaient une piste à suivre. Elles ne tardèrent pas à décider de se rendre à Al-Far, là où tout avait commencé. Elles étaient venues à Al-Chen car Hanæ y était et que la ville était à peu près à mi-chemin entre la Citadelle et Al-Jeit, mais elles avaient encore de la route. 

On ne peut admirer en même temps la lune, la neige et les fleurs [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant