Chapitre 10

8 1 0
                                    

Une semaine plus tard, elle était prise. On lui fit visiter certains lieux, idéal pour la tâche qu'elle tentait d'accomplir et on lui donna des informations. Elle demanda innocemment le nombre d'étages de la tour et ce qu'ils devaient protéger. Si cela éveilla la méfiance du garde, elle ne s'en rendit pas compte et lui expliqua tranquillement tout ce qu'elle voulait savoir.

- Oh cette tour appartient à un conseiller de l'Empereur. Comme c'est aussi un dessinateur très doué, il préfère rentrer régulièrement à Al-Far par un pas sur le côté plutôt que de dormir trop souvent à Al-Jeit.

Voilà une information qu'elle était ravie de posséder. Un dessinateur puissant et un proche de l'Empereur. Voilà qui conciliait leur perte de mémoire et le complot dont avait parlé Hanæ. Parfait ! Elle avait soudainement hâte de rentrer mais dut accomplir sa première journée de travail avant d'être libérée. Elle avait aussi rencontré un maximum de gardes. Ziriad était venu la saluer, heureux de la voir. Elle aussi l'appréciait et elle était contente de travailler avec lui. D'autant plus qu'il la ferait travailler et qu'elle aimait l'idée de pouvoir un jour le vaincre.

A la fin, elle informa ses amies de ses découvertes. Celles-ci commençaient à s'impatienter, notamment Elléa qui avait obtenu un congé mais ne pouvait faire attendre ses professeurs indéfiniment. Peut-être qu'avoir retrouvé ses souvenirs suffirait à pallier le manque de cette absence ? Elle l'espérait fortement. Mais elle restait positive car cela l'avait réellement aidée. Ces derniers jours, elle avait travaillé ce dont elle s'était rappelé, notamment des bases oubliées. Elle sentait son Art affiné et cela l'emplissait de satisfaction. Hanæ pour sa part passait beaucoup de temps dehors et sortait la nuit pour aller observer la Tour de Guet. Avec les informations de Lauwe, elle allait désormais pouvoir situer les choses et, pourquoi pas, s'introduire dans la tour.



- Ziriad ne sera pas là dans trois jours, c'est l'occasion de passer à l'action.

Lauwe était rentrée sur ces paroles, une semaine et demie après avoir commencé à travailler. Ses amies furent soulagées de voir leur attente finie et elles se mirent aussitôt à mettre au point les détails d'un plan auquel elles avaient déjà largement pensé. Très vite, tout fut au point. Le laps de temps qui suivit ne modifia guère les choses et trois jours plus tard, à la nuit tombée, trois silhouettes marchaient discrètement vers la Tour de Guet.

Elles entrèrent par une porte secondaire dont Lauwe avait dérobé la clé le jour-même et parcoururent les couloirs sans un bruit. Entre ses visites régulières, les repérages d'Hanæ et leurs souvenirs, elles avaient une assez bonne connaissance de l'endroit. Notamment où aller pour chercher ce dont elles avaient besoin. Parvenues au bon étage, l'un des plus hauts, que Lauwe ne connaissait pas encore, la Marchombre prit les devants. Elle les mena à une porte identique aux autres et se pencha pour crocheter la serrure, encore une fois verrouillée. Elle ne mit pas longtemps à s'en occuper tandis que les deux autres faisaient le guet, pour utile que ce soit au milieu d'un couloir où il n'y avait pas la moindre cachette.

Tout se déroulait à la perfection, presque trop pour la Frontalière et la dessinatrice, peu habituées à ce genre d'exercices. Elles commençaient à être un peu nerveuses et pénétrer dans la salle fut un soulagement. Peu de choses avaient changé depuis la dernière fois et elles purent détailler à la lueur de la lune le bureau bien meublé. Les murs étaient boisés, recouverts de rayonnages de livres. Une large fenêtre était barrée de métal, probablement pour les intrusions. Le sol était d'un parquet ouvragé, travaillé par d'excellents ébénistes. Ceux-ci s'étaient chargés de l'ameublement et même les quelques chaises étaient aussi élégantes que délicates. Le bureau, non plus en tant que lieu, était la pièce maîtresse de l'endroit, les artisans avaient appliqué tout leur savoir-faire dans cette œuvre. Mais les trois filles ne prirent guère le temps de détailler les fines frises sculptées qui contaient la légende de Merwyn et Vivyane. Elles commencèrent à feuilleter les papiers, fouiller les tiroirs et parcourir les ouvrages. Être trois ne serait pas de trop.

Étrangement, ce ne fut pas l'œil affûté de la Marchombre mais la maladresse de la dessinatrice qui leur offrit une réponse. Elle avait trébuché et était tombée sur Lauwe qui s'était retenue comme elle le pouvait aux meubles. Elle avait alors actionné un bouton invisible qui avait déplacé le bureau, dévoilant un escalier. Aussi surprises que ravies et méfiantes, elles descendirent les quelques marches pour se retrouver dans une pièce d'archives. Depuis leur dernière visite, ils avaient dû la constituer. Elles se remirent à chercher mais l'organisation de la pièce joua en leur faveur et elles ne mirent pas longtemps à trouver ce dont elles avaient besoin.

- Une alliance entre les Géants et un conseiller de l'Empereur ? Et les géants dirigent les Raïs, les ennemis de l'Empire ! Et il me semble que le nom de Fil'Palis ne me soit pas inconnu. C'est l'un des conseillers les plus influents, n'est-ce pas ?

- Oui, je le connais ! Et c'est un très bon dessinateur !

- Les filles, nous avons notre homme ! Elléa, tu peux créer une copie de ces documents ?

La jeune fille les lut attentivement avant de dessiner un double quasi-identique. Personne ne verrait la différence à moins de l'observer de très près, notamment les sceaux. Une fois ces documents en main, elles remontèrent avec précaution. Comme elles étaient toujours nerveuses à l'idée d'être prises, la dessinatrice demanda soudain :

- Lauwe ! Je savais qu'il y avait un truc qui m'échappait ! Si nous avons été faites prisonnières ici, ne crois-tu pas qu'on ait pu te reconnaître ?

Le Frontalière stoppa net. Comment n'avait-elle pu y songer ? Mais pourquoi l'avoir embauchée dans ce cas ? Ils auraient poliment pu décliner sa candidature, ce n'était pas si rare, surtout avec une bonne excuse. Elle haussa les épaules et elles en restèrent là, reprenant le silence pour le chemin du retour. Allaient-elles se faire prendre ? Comment des amatrices comme elles pouvaient-elles réussir une mission si délicate ? Elles faisaient chaque pas en hésitant entre silence et rapidité. Finalement, elles revirent au rez-de-chaussée. La Dame veillait sur elles car elles n'avaient pas croisé âme qui vive. C'était bien trop beau pour être vrai.

Et pourtant, elles retrouvèrent l'air frais de la nuit en un seul morceau. Elles se dévisagèrent avant de filer à l'auberge et de se réunir dans leur chambre. Là, elles s'installèrent confortablement pour se remettre de leurs émotions et étalèrent les papiers devant elles.

- Nous avons vraiment réussi n'est-ce pas ?

- Il faut croire ! Je ne pensais pas cela possible. Pensez-vous qu'ils aient pu nous laisser faire ?

- Dans quel but ? Non, il arrive d'énormes coups de chance à tout le monde. Et peut-être que la surveillance était réduite ce soir, ou bien que les gardes se sont endormis.

Elles étaient hésitantes mais allèrent au lit. Elles eurent du mal à s'endormir et leurs songes furent peuplés de soldats à l'air agressif. Elles n'avaient même pas songé à quitter l'auberge la veille pour partir sitôt les documents en main. Etaient-elles si septiques sur leurs chances de réussite ?

On ne peut admirer en même temps la lune, la neige et les fleurs [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant