« Je suis Dave, un vendeur itinérant de brosses à cheveux. Mon métier, c'est de frapper à des portes, de proposer mes produits avec un sourire étiqueté marketing se voulant ressembler à celui d'Henry Cavill. Et bien sûr, c'est ce que je dis à ceux qui me demandent, la partie la plus difficile n'est pas tant de se voir envoyer promener mais de trouver quoi dire quand les gens me laissent entrer. De toute façon, il s'agit la plupart du temps de personnes âgées que leurs enfants ont oublié à la recherche d'un peu de compagnie. Oui, j'aime bien faire des blagues sur mon métier, prendre légèrement les regards pleins de pitié que mes anciens camarades de lycée me jettent quand on se croise. « Dave, la bonne poire qui se satisfait de ce qu'il a et qui en rigole même. On aimerait tous être comme Dave, que les gens se sentent toujours si proches de nous qu'ils en oublient notre véritable prénom pour adopter un surnom générique ». Enfin sur ce point-là, je suis d'accord avec eux. Mes parents juifs m'ont donné le prénom de David, c'était supposé me donner un maximum de chance dans ma vie. Ce nom, je l'ai aussi mis au placard, de toute évidence il n'avait pas eu l'effet escompté. De temps en temps, je pense à le ressortir ; après tout on n'est jamais à l'abri d'une bonne surprise.
Ce soir-là, il pleuvait à torrent. J'étais dans un coin paumé du Wisconsin et j'avais qu'une idée en tête : trouver un endroit où dormir. Les essuie-glaces battaient à fond et le cadran sur le tableau de bord indiquait minuit quarante quand je me suis garé sur le parking d'un motel pourri. Le seul à des kilomètres à la ronde. Je me suis extirpé de ma vieille Chevrolet en pensant qu'il ne devait de toute façon accueillir que des types paumés comme moi. Je me suis abrité sous mes dossiers – ils dataient de 1998, me servaient de toute façon qu'à paraître sérieux – et j'ai couru sur le bitume détrempé jusqu'à la réception. La porte vitrée s'est ouverte dans un craquement horrible et elle a failli me rester dans les mains. Mes kilos en trop avaient rendu ma course digne d'un semi-marathon. Du coup, je me suis assi sur une ottomane à moitié bouffée par les mites après avoir allègrement appuyé sur la sonnette posée sur le comptoir. Des endroits comme ça, j'en ai vu défiler des centaines au cours de ma vie. Ils constituaient mon quotidien, remplaçaient mon petit appart' que j'ai cédé à mon ex-femme. Quelle garce celle-là. Rien que d'y penser ça me met en rogne. Enfin la réceptionniste se pointe. Il s'agissait d'une grosse brune, l'air las, visage et corps flasques. C'était impossible de lui donner un âge. Elle a traîné les pieds jusqu'à moi et m'a demandé d'une voix rauque de fumeuse :
« V's'êtes combien et vous comptez rester jusqu'à quand ?
- Une personne. Juste pour la nuit.
- OK, bah tenez, elle a répondu en attrapant une clé, chambre 9. Ce s'ra vingt-huit dollars. »
J'ai vite payé puis j'ai attrapé ma mallette et je me suis dirigé vers ma chambre. Il faisait étonnement froid pour un mois de septembre. Je me souviens que le vent glacé s'infiltrait sous mon vieil imper, parcourant ma peau de frissons. Je suis enfin arrivé devant une porte sur laquelle un « 9 » avait grossièrement été dessiné à la main avec un feutre. L'encre avait un peu bavé. Je suis entré dans la chambre où il faisait un froid de canard. Je me suis dépêché d'allumer les radiateurs, prenant en même temps le risque de mettre le feu à l'immeuble. Tant pis, ça valait bien un peu de chaleur. J'ai balancé ma valisette sur le sol moquetté. Cela faisait bien longtemps que je grimaçais plus quand je voyais les tâches douteuses qu'y avait sur les sols. Oui car c'était bien monnaie courante dans les motels. En même temps à vingt-huit dollars la nuit, je pouvais pas me permettre de l'ouvrir. Alors je me suis laissé tomber sur le lit, face contre l'édredon à fleur puant la grand-mère. Je suis resté comme ça quelques minutes jusqu'à ce que j'entende deux voix traînantes passer devant ma chambre, mes voisins, probablement. Bourrés, probablement. Je me suis levé et suis allé dans la salle d'eau minuscule. J'ai même pas pris la peine de regarder la baignoire, je savais qu'elle serait inutilisable. J'ai l'habitude de voler les passes des employés de supermarchés pour rentrer dans leurs salles de repos et me servir des douches. Ouais, j'en suis réduit à ça. Dans le miroir presque opaque tellement il était dégeulasse, je me suis regardé d'un air dégoûté. Ça aussi c'était la faute de mon ex-femme.
VOUS LISEZ
Tuer pour du sens
Short StoryDave, un vendeur itinérant de brosses à cheveux, a tué pour du sens. *TW : violence*