Je fus réveillée soudainement par le vent glacial me piquant les joues comme si j'avais traversé un champ de barbelés.
Mon corps meurtri reposait sur la terre humide d'une forêt aux arbres biscornus dont les branches nues fouettaient l'air en une symphonie angoissante.
Je ne pouvais remuer aucun des membres de mon corps, ne serait-ce qu'un doigt ou un orteil.
Comment étais-je arrivée ici ?
J'essayais tant bien que mal de trouver dans ma mémoire le moindre petit indice qui me permettrai de savoir ce qui m'avait amenée ici, mais cela ne servait à rien. Ma mémoire était comme qui dirait vide. Même pas le songe d'une odeur, ni l'ombre d'un visage. Rien.
Un profond sentiment de désespoir s'empara de mon âme, et de mon corps paralysé. Qu'allais-je alors faire, seule, immobile et mourante de froid au beau milieu d'une forêt aussi vide que ma mémoire ?
Je ne voyais qu'une seule et unique solution : attendre en se lamentant sur son sort. Et c'est ce que je fis.
Et pendant cet interminable moment d'apitoiement, aucun être vivant - excepté la faune, la flore, et moi - n'avait fait son apparition.
La température avait chuté brutalement, et le ciel gris pâle avait laissé place à un drap bleu marine, tapissé d'étoiles scintillantes dominées par l'énorme disque blanchâtre qu'était la lune.
Je me sentais faible, et je savais que c'était ici que j'allais passer les derniers instants de ma vie. Je n'avais même pas quelque chose de joyeux à me remémorer, puisque ma mémoire était dépouillée de souvenirs.
Quelle mort atroce.
Ma respiration se fit plus lente, comme si j'étais sur le point de m'endormir. Ça y était. Je sentais les rayons de la lumière sur mes paupières, toute proche, je pouvais la toucher du bout de l'index.
Je me sentais partir loin dans l'au-delà, quand une faible vibration m'interpella. Toujours entre la vie et la mort, sur un pont de pierres blanches, la vibration s'intensifiait au fur et à mesure que je me dirigeais vers cette lumière envoûtante. Elle fit trembler le pont, et quelques pierres s'effritèrent. Plus je me rapprochai de la lumière et plus les vibrations devenaient insupportable. Tout tremblait autour de moi, et le pont se brisa en deux.
Je me mis à courir pour atteindre le faisceau. J'y étais presque.
La vibration était bien trop puissante pour moi, je décidais alors d'arrêter ma course à seulement un mètre de la source lumineuse.
Recroquevillée sur moi-même et les mains portées aux oreilles, je ne m'entendais même plus penser.
Le pont s'écroula soudainement sous moi, et j'entamais une chute libre sans précédent vers... Vers quoi d'ailleurs ?
« Allison ! Reste avec moi je t'en prie ! »
Je chutais brutalement sur le sol froid, et j'eus la sensation que mes poumons se décollaient de ma cage thoracique.
Mes yeux s'ouvrirent brusquement et je retrouvais le paysage sombre et désert de la forêt. Non, attendez...
- Allison !
Je n'étais pas seule. Au-dessus de moi était penché un jeune homme aux yeux marron et aux traits fins. Son visage était peint d'égratignures de toutes tailles, et d'une entaille peu profonde à l'orée de son sourcil gauche, sur lequel le sang séché avait formé une croûte disgracieuse.
Qui es-tu?
La phrase se formula dans mon esprit sans pouvoir franchir mes lèvres. A la place, un grognement rauque s'échappa de ma gorge.
- Ne t'en fais pas. Ça va aller.
Il passa son bras droit sous ma nuque et son bras gauche sous mes genoux, puis il me souleva de terre.
Je voulus me débattre et hurler, mais j'étais trop faible pour protester. Et puis, je n'allais pas me plaindre, il allais sûrement me ramener dans un endroit chaud, et peut-être même me nourrirait-il.
Il traversa la forêt pendant un bon quart d'heure. Il devait vraiment être musclé pour pouvoir me soulever pendant tout ce temps. Soudain, sans que je ne puisse savoir ce qu'il m'arrivait, une larme chaude roula du coin de mon œil pour venir s'écraser sur la commissure de mes lèvres.
À peine le goût salé présent dans la bouche, une douleur insurmontable me lacéra les tempes et entraîna une chute incontrôlable de larmes. À chaque fois que l'une d'entre elle s'immisce dans ma bouche, j'entendais une voix chuchotante dans mon crâne.
Allison...
Peter... Peter... Peter...
- Peter !
La voix était tellement présente que je ne m'entendais même pas la dire.
Le garçon arrêta sa marche et me regarda avec anxiété.
- Je suis là chuchota-t-il. Tout va bien.
- Peter...
- Ça va aller, d'accord ?
- Peter, Peter, Peter !
- Regarde là-bas, dit-il en pointant l'horizon du doigt.
Je tournais lentement la tête dans la direction indiquée, et vis à une dizaine de mètres un véhicule assez grand de couleur blanche et bleue.
- Ma caravane n'est pas très loin. On est bientôt arrivés.
Je hochais la tête en me retenant de ne pas encore une fois prononcer inconsciemment le nom du garçon. Je savais à présent qu'il s'appelait Peter, et qu'il connaissait visiblement une personne du nom d'Allison qui s'avérait être moi-même.
Après une marche pénible qui dura quelques minutues seulement, nous pénétrâmes dans la fameuse caravane. La tiédeur de l'endroit m'accueillit dans une sensation chaleureuse. Elle s'enveloppa autour de moi tel un cocon se forme autour d'une chenille, et me laissa demeurer dans un état de transe. Je sentit alors que l'on me déposait doucement sur quelque chose de moelleux et confortable, et qu'on me recouvrit d'un tissu doux et rassurant. Après quelques instant seulement, je me sentais tomber dans les bras de Morphée.
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Je fus réveillée soudainement par le vent glacial me piquant les joues comme si j'avais traversé un champ de barbelés.
Attendez....
Non, ce n'est pas possible.
Pas encore.
- Allison!
Peter... Peter... Peter...
- Peter!
- Regarde là-bas dit-il en pointant l'horizon du doigt.
Le jour suivant et le jour suivant, et encore le jour suivant, le froid me réveillait en me piquant les joues, Peter venait me chercher et m'emmener dans sa caravane, je m'endormis sous les draps et me réveillais encore à cause du vent. La scène se répétait à l'infini. J'avais tellement observé autour de moi que je pouvais vous dire le nombre d'arbre qu'il y avait aux alentours ou encore le nombre de pas que Peter faisait pour arriver à la caravane. Au bout de vingt fois, je me résolus à arrêter de compter. Il ne servait plus à rien d'espérer.
J'étais en quelque sorte prisonnière du temps.
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Prisonnière du temps (deviendra bientôt : Au Septième Ciel )
FantasyQui lira saura. -X_IMOTEP_X