- Je le veux. Depuis toujours et jusqu'à la mort, affirme Afonso, avec tout l'aplomb dont il est capable.
Les grands yeux bleus de Leiria sont remplis de larmes. Elle qui n'avait jamais pensé pouvoir vivre cet amour un jour. Elle, née d'un père inconnu, d'une mère célibataire, alcoolique quelquefois, absente souvent. Elle pensait que le monde qui l'attendait serait pire, en tout cas certainement pas plus drôle. Elle se voyait déjà être l'esclave de la brasserie du centre du matin au soir en se faisant siffler par tous les hommes bourrés du coin. En rentrant le soir, elle ne trouverait que ses chiens qui l'attendent, puis un jour, sans aucun doute, elle tomberait dans l'alcool aussi. Peut-être même qu'elle aurait été obligée de se prostituer pour pouvoir payer ses bouteilles, même pire. Oui, elle avait toujours envisagé le pire pour elle. La jeune femme faisait régulièrement le même rêve : il était assez tard, elle rentrait seule de ce café qui occupait ses journées, et elle tombait sur un mec titubant, un peu étrange, qui lui proposait de l'accompagner. Au début elle refusait, puis finissait par accepter. Elle se retrouvait dans une grande maison remplie de femmes. Elle se souvient qu'elle en connaissait certaines, certaines femmes qu'elle avait catégorisées comme « les pleureuses du village » car c'était des femmes qui soit avaient vécu la douleur de perdre leur mari, soit étaient trop tristes pour en avoir un. Elle avait toujours trouvé ce rêve étrange, irréel, mais elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'il s'agissait d'un rêve prémonitoire. Leiria a toujours été très croyante. Sa conviction a sans cesse été que quelqu'un guidait le destin de chacun. Elle pensait qu'il suffisait juste de prier pour changer les choses. Jusqu'au jour où ses prières ont été exaucées et qu'elle tomba sur Afonso...C'est un homme grand, brun, doté d'une épaisse barbe foncée qui fait tout son charme. Il a les yeux vert sapin, et quelquefois marron, il suspecte que les couleurs changeraient selon ses humeurs. Il est d'une beauté naturelle, et attise les jalousies par son corps naturellement galbé, sans trop d'efforts. Il a grandi dans un village dans les montagnes du nord du Portugal, au milieu d'une civilisation quasiment inexistante, qui tourne autour de l'élevage, de l'agriculture, et des dimanches à l'office. Lui aussi est très croyant, en réalité il n'a pas vraiment eu le choix durant son éducation. Il n'a jamais vraiment eu l'opportunité de choisir quoi que ce soit à vrai dire, si ce n'est de choisir ses vêtements, et c'est déjà ça. Il s'habille de manière assez sobre, utilise des tons de couleur plutôt foncés et s'autorise du rouge quelquefois. Il a toujours été un bon élève dans cette petite école du centre de village où tous les élèves sont réunis dans une même classe, indépendamment de leur âge ou de leur niveau. Cette petite école ne comptait que 2 classes où les fratries étaient volontairement réunies. Elle était recouverte par les graffitis des différentes générations d'enfants, et tellement ancienne, voire à la limite de l'effondrement. Afonso a vu les murs s'ecailler au fur et à mesure qu'il grandissait. Ces murs d'un blanc usé, jauni par le temps et les années à voir passer des tas d'enfants. Ce qu'il a toujours trouvé le plus dur était la cour de récréation dans lequel trônait seul une balancelle qui crisse en chœur avec les rires des enfants. Il a toujours trouvé cela bizarre d'étudier avec des élèves de 5 ans plus vieux que lui, mais sa mère lui répétait tout le temps que « c'est auprès des anciens qu'on apprend le mieux ». Sa mère portait à la fois la figure maternelle et paternelle. Elle était aimante, mais dure. Elle lui a donné une éducation qui a fait de lui un homme respectable, honnête, et proche de ses racines. Quant à son père il était discret, sur une réserve permanente. Afonso se souvient de ce jour où son père avait pleuré. Il n'y en avait eu qu'un. Il n'a jamais été certain de la raison de ses larmes, mais il se souvient être rentré de l'école, à 17h tapante, et l'avoir trouvé assis dans la cuisine. Il pleurait tellement... Le jeune garçon devait avoir 11 ans et il se rappelle s'être même demandé s'il était possible de mourir de chagrin... « Qu'est-ce qu'on peut être nul à cet âge-là » se dit-il aujourd'hui. Il revoit sa mère fermer la porte de la cuisine, et l'entendre chuchoter des paroles vagues, mais elle parlait d'argent, et « qu'on s'en sortirait quand même ». Quelques semaines après, son père est parti à l'armée. Afonso n'a jamais su qu'il était mort car sa mère ne lui a jamais dit. Il l'a juste déduit à partir du moment où il ne l'a plus jamais revu passer la porte de la maison, et que sa mère n'a plus porté aucune couleur. Aujourd'hui, Afonso est un homme fort comme sa mère, et discret comme son père. Mais il est devenu un homme aimant le jour où il a rencontré Leiria.
Cette femme à l'allure incertaine, mais d'une douceur et d'une générosité extrême. Elle est spontanée, naturelle, n'est pas sûre d'elle, ne l'a jamais été. Elle est de taille assez petite, maigre, voire même squelettique, du moins elle l'a été à certaines périodes de sa vie. Elle est blonde et ses yeux sont d'un bleu profond. Son regard est ce qui parle le plus chez elle. La première fois qu'Afonso a croisé son regard, il a remarqué sa fragilité, et l'a confondu avec celle de son père pendant quelques instants. Malgré son enfance difficile, Leiria s'est rapidement attachée à Afonso, et a bâti toutes ses espérances autour de lui. Peut-être a-t-elle trouvé en lui le père qu'elle n'a jamais eu, et lui, en elle, le père qu'il a perdu. Ils se sont rencontrés à 17 ans, elle venait de se disputer pour la énième fois avec sa mère qui était tellement bourrée qu'elle n'arrivait pas à viser sa fille pour lui lancer la bouteille au visage. Elle a décidé de sortir prendre l'air et de marcher. Leiria a marché pendant des heures jusqu'à tomber sur ce village qui ressemblait à quelques détails près au sien. Les villages perchés dans les hautes montagnes portugaises s'apparentaient tous, tellement la pauvreté pouvait s'y ressentir. Ils se caractérisaient par des immenses champs à perte de vue étoffées de maïs, de pommes de terre, ou encore de longues vignes. Les maisons en bois ou en briques ont été construites des mains de leurs habitants, souvent accompagnées d'une petite grange où dormaient une ou deux vaches et quelques cochons. On pouvait souvent y voir passer des cortèges de tracteurs à 19h, heure du souper.
Ce soir-là, il faisait nuit, froid, et elle voulait trouver un endroit où dormir lorsque son chemin croisa cette petite maison d'hôte perdue qui ne devait pas avoir plus de 3 chambres. Elle est entrée et est tombée sur lui à l'accueil. Il ne leur fallu qu'une seconde pour tomber amoureux. 6 jours après elle emménageait chez lui dans la chambre de bonne qu'il avait au dernier étage. Sa mère s'était éteinte 3 mois après... tout le monde lui avait soufflé qu'elle était morte de solitude à la suite à son départ. Mais personne ne connaissait les travers de sa mère. Avec l'argent de la maison d'hôte, le jeune couple acheta des terres et cultiva toutes sortes de fruits et légumes. Ces bénéfices leur ont permis par la suite de créer un élevage et de vivre seulement des animaux et des champs. Grâce à la floraison de leur culture, Afonso finit par vendre ses parts de l'hôtel à sa mère, mais plus tard, lorsqu'un foudroyant cancer du sein emporta la vieille femme, le jeune homme a du se résoudre à liquider l'affaire.
Leiria et sa moitié vivent désormais dans une grande ferme dans le village où a grandi Afonso. Afonso venait d'avoir 23 ans quand il l'a demanda en mariage car il ne pouvait plus attendre. Elle aussi en avait 23 et s'unir était ce qui importait le plus pour elle, car ils étaient tout ce qu'ils avaient l'un pour l'autre. Ils ont fait le choix d'organiser un petit mariage, assez discret, à l'image du peu de personnes qu'ils ont encore dans leur entourage.
- Vous pouvez embrasser votre femme, déclare le prêtre qui a vu grandir Afonso.
Sans se faire prier, Afonso embrasse fougueusement sa belle Leiria. Ce baiser représente leur histoire, la fougue, l'audace, la spontanéité. Ils se laissent porter par leur amour, et Leiria, malgré son incertitude permanente, se sent enfin en sécurité.
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L'amour ne tient qu'à un fil
Fiksi UmumPortugal 1973. Six frères et sœurs assistent au bouleversement de leur vie. Plus rien ne sera jamais comme avant. Chacun de ces chaînons va connaître un parcours semé d'embûches durant lequel ils vont devoir se réconcilier avec leurs démons du passé...