C'est l'histoire d'un jeune garçon né avec un cœur en carton. Un petit cœur très fragile qui s'abimait et s'emballait sans arrêt. Cette particularité était invisible – même la machine la plus sophistiquée du monde ne pouvait en faire une radio. Sur le papier, son cœur était le même que les autres.
Cependant, ce cœur en carton n'était pas très étanche, et ses émotions débordaient sans cesse. Même s'il ne pouvait pas s'en souvenir, ça avait commencé dès sa naissance. Tout juste arraché du ventre de sa mère, alors qu'il hurlait à plein poumons, le médecin s'était exclamé :
« Dis donc, c'est qu'il est bruyant celui-ci ! On dirait presque une petite fille. »
Cette remarque avait fait pouffer les infirmières et le papa, tandis que la maman épuisée serrait le nouveau-né contre elle.
Le bébé, nommé Lou, fût un enfant bruyant, énergique et pleurnichard. Il peina à faire ses nuits, réveillant souvent ses parents avec ses cris. La même chose se répéta lors de ses premières dents. De manière générale, Lou pleurait beaucoup et pour la moindre contrariété. Cela inquiétait beaucoup le jeune couple, alors ils l'emmenèrent au pédiatre. Incapable de remarquer le carton, cette dernière leur assura que le nourrisson était en parfaite santé, et qu'il était simplement très émotif. Rassurés, ses parents se dirent que cela lui passera probablement avec l'âge.
Ce ne fût pas le cas et même si Lou grandissait à vue d'œil, il chouinait toujours autant. Ses parents ne savaient pas comment réagir, comment empêcher ça. Ils commencèrent alors à lui répéter qu'il ne devait pas geindre sans cesse :
« Arrête de pleurer. Tu es un grand garçon. Les grands garçons ne pleurent pas. »
Car après tout, c'était ce que son grand-père lui-même avait ressassé à son papa toute son enfance, ce qui avait fait de lui l'homme qu'il était aujourd'hui. Il ne voyait pas le mal dans ses mots. Alors, dès que Lou commençait à renifler, dès que ses yeux paraissaient s'humidifier, son père lui répétait que « les garçons ne doivent pas pleurer ».
L'enfant émotif eut une petite sœur lorsqu'il eut quatre ans. Fasciné par la toute petite créature, il passait son temps accroché au barreau de son berceau, la fixant avec des étoiles dans les yeux. Néanmoins, lorsqu'elle pleurait, ses parents ne lui disaient rien. Alors Lou demandait :
« Pourquoi est-ce qu'elle, elle peut pleurer ? »
Ce à quoi ses parents répondaient :
« Parce qu'elle, c'est un bébé. »
Pour leur faire plaisir, Lou essayait très fort de retenir ses émotions. Pourtant, comparé aux enfants de son âge à l'école, ce qu'il ressentait paraissait décuplé. Comme s'il ressentait tout beaucoup plus, parce que son cœur n'était pas bien étanche. Quand il ne pleurait pas, il répondait toujours aux questions de la maîtresse en criant, il jouait en faisant beaucoup de bruit, imitait le dinosaure dans la cour de récréation en grondant du plus profond de ses poumons. Mais même sur ça, on lui faisait des remarques :
« Lou, tu n'es plus un bébé. Arrête de sauter partout ! Arrête de crier ! »
On lui reprochait sa joie, on lui reprochait sa tristesse, mais il n'arrivait pas à trouver un juste milieu. Il n'arrivait pas non plus à expliquer aux adultes que dans son cœur, ça débordait, alors il ne disait rien.
A force d'entendre les grands réprimander Lou sur tout ce qu'il faisait, les enfants ont rapidement commencé à faire pareil. Lorsqu'à la récréation l'enfant avait le malheur d'être effrayé par un insecte quelconque et de commencer à pleurer, ses camarades de classe l'entouraient pour scander :
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La bouteille de verre
Short StoryLou est né avec un coeur en carton. Un coeur très fragile, invisible sur les radios, qui déborde facilement. Depuis sa naissance, on lui reproche ses sentiments. Alors il a commencé à détester son coeur et ses émotions - jusqu'à ce qu'il rencontre...