Filipe - Partie 1

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Il est 6h du matin. Filipe tourne et retourne dans son lit sans cesser de penser à la journée qui l'attend. « Aujourd'hui est le début de ta nouvelle vie » n'a cessé de lui dire sa mère. « Aujourd'hui tu deviens un homme » lui a dit son père. Il a tout quitté, sa famille et le confort de la maison parentale pour partir en Belgique pour travailler. Il a 17 ans, il est jeune, il n'a pas fait d'études et ne connaît encore rien à la vie. Demain le jeune homme se retrouvera dans un bureau, au milieu d'une foule de gens qui partagent le même rêve que lui : devenir dessinateur de bandes dessinés. Il commence au bas de l'échelle car pour l'instant il va seulement être stagiaire dans une petite maison d'édition spécialisée dans les livres pour enfants, mais c'est un début. Il a toujours voulu donner vie à tous les personnages qu'il a en tête depuis son enfance, même s'il est nécessaire de tout quitter, lui qui est si attaché à sa famille. C'est ce qu'il fait aujourd'hui. Filipe a péniblement dit au revoir à ses parents, à ses amis, à sa petite sœur Joana, qui ont tout fait pour l'en dissuader. Mais c'est son choix. C'est la première fois qu'il fait un choix pour lui, qu'il mène sa vie, qu'il mène son destin. Il en est fier mais sa raison le ramène à la culpabilité. C'est ça son problème, c'est cette culpabilité permanente qui ne l'a jamais quitté. Comme si tout dépendait de lui, le jeune homme a constamment fait ses choix selon ce qui est juste. Filipe a déjà dessiné une cinquantaine de BD, mais la réalité est que personne ne les a lu parce qu'il n'a jamais voulu incomber cette tâche à ses proches. Ils n'ont jamais eu le temps, et sûrement pas l'envie.

Après de longues minutes à se torturer l'esprit dans son lit, il décide de se lever et de s'habiller pour son premier jour. Sa chambre de bonne est minuscule et ne se compose que d'un seul petit couffin gris acheté au marché quelques jours auparavant par sa mère, Leiria, d'une gazinière et d'un réfrigérateur qui ne dépasse pas le seul interrupteur de la pièce. Il est prit d'une légère hantise lorsqu'il doit se diriger vers la douche commune au bout du couloir, mais il se fait violence et prend la douche la plus rapide de sa vie. Il n'a pas beaucoup de tenues, mais il met une bonne vingtaine de minutes à choisir ce pull col roulé bleu cyan et ce pantalon en jean blanc. Il n'est pas réellement satisfait mais tant pis, il faut y aller.

La maison d'édition est située dans un bâtiment assez sobre, surplombés de trois étages où se chevauchent divers bureaux. En entrant dans le petit hall, il fait attention à poser le pied droit en premier, par superstition. Des vestiges de ces racines qui lui jouent souvent des tours. À l'accueil se situe une jeune femme assez jolie, plutôt jeune, pas si souriante que son métier l'aurait exigé.

- Vous êtes ? grogne-t-elle

- Heu... Filipe. C'est mon premier jour et je dois rencontrer...

Le garçon n'a pas le temps de terminer sa phrase que le doigt de la jeune femme est appuyé sur le téléphone et prévient la personne au bout du fil qu'« un certain Filipe demande à la voir ». Après deux approbations du faciès, elle envoi Filipe au « deuxième étage, bureau au bout de l'aile droite ».

Lorsqu'il monte, il s'aperçoit que des tonnes de couvertures de livres pour enfants sont encadrés le long des murs qui surplombent les marches. Il est fasciné par tous ces dessinateurs et auteurs connus qui semblent être passé par là. Il se prend à rêver. Le rêve est la plus grande partie de sa vie. Il n'a fait que rêver depuis son enfance, seul dans sa chambre il s'imaginait des vies parallèles dont il serait le héros. Des histoires qui lui appartenaient et qu'il rêve aujourd'hui de partager au monde entier.

Au bout de quelques minutes,  le jeune homme arrive devant une grande entrée à double portes de bois blanc, où est accroché une plaque en or gravée « LILA TRADINO, DIRECTRICE D'EDITION ». Il reprend deux ou trois respirations et toque à la porte, peut-être un peu trop fort à son goût. A peine a-t-il frappé, qu'il entend une voix forte lui demandant d'entrer.

L'amour ne tient qu'à un filOù les histoires vivent. Découvrez maintenant