Je me suis levée à l'aube ce matin, afin de déposer mon dossier au tribunal et rattraper mon énorme bourde professionnelle. J'ai la tête rentrée dans les épaules et je fixe le sol au moment où je pousse la lourde porte de bois du cabinet O'Donnel & Associés. Je ne me sens pas fière. Je n'ai qu'une envie me glisser le plus discrètement possible sur la chaise de mon bureau et me faire oublier. J'ai la boule au ventre et redoute de croiser mon père.
Je soupire, enfin à l'abri derrière la porte. Je retrouve mon bureau tel que je l'ai laissé hier, des papiers en vrac, tous mes dossiers ouverts en plan. Manque de pot pour moi, le bâtonnier, mon père, fait son entrée dans mon bureau. Il ne reparle pas de mon oubli mais le ton glacial avec lequel il s'adresse à moi me file des frissons jusque dans la nuque. Dans des moments comme celui-là, j'aurai envie de quitter mon poste. Je me dis que les remontrances, venant d'un autre supérieur que mon père, passeraient peut être mieux ?
Je ressens le besoin d'appeler Joey une fois mon père sorti. J'espère tellement qu'il n'est pas de garde ce soir car une bonne partie de jambes en l'air me parait le remède idéal... J'entends sa voix dans le combiné et sens mon corps se détendre instantanément.
― Hey Joey, ça va? Dis-moi que tu ne bosses pas ce soir, je le supplie.
Je l'entends rire à l'autre bout du fil.
― Je te manque tant que ça ?
― Plus encore !
― Sois satisfaite. Je suis complètement, absolument, définitivement libre pour toi ce soir...
― Oh génial ! Je te rejoins chez toi ?
― Pas si vite demoiselle... Avant de consommer, il va falloir faire un petit effort...
― Comment ça ?
― Je t'emmène au restaurant, j'avais pensé à une adresse sympa que je voulais te faire découvrir...
― Ah...
― Ne t'inquiète pas Amy... Après ça, tu pourras disposer de moi comme tu l'entends !
― Tu m'en vois soulagée... Tu n'es pas un homme facile...
Je ris à ses mots.
― Amy... J'ai demandé à être libre pour Boxing Day, tu sais, pour notre escapade mais mon chef ne peut pas me le garantir... Pas mal de mes collègues avec enfants sont prioritaires pour être en congé pour les fêtes. Il m'a dit qu'il avait besoin que je reste d'astreinte. Je ne vais pas pouvoir quitter Dublin, je ne dois pas m'éloigner de plus de trente kilomètres. Je suis désolé.
Je sens l'hésitation et sa peur de me décevoir dans sa voix, je trouve ça tellement mignon. Je suis un peu déçue à vrai dire... Mais le savoir à mes côtés pour passer les fêtes me rassure quelque peu. Au moins, je n'aurais pas à subir ca toute seule cette année...
― Ce n'est pas grave Joey. Je regrette un peu c'est vrai, mais on aura d'autres occasions, ne t'en fais pas. J'avoue que j'avais envie d'échapper à mes obligations familiales et ça aurait été plus simple de le faire ensemble, je ris doucement.
― C'est si dur que ça ?
― Pire encore ! Si tu savais, tu ne connais pas ma mère !
― Je commence à la connaitre un peu... La mienne m'a encore demandé à te rencontrer d'ailleurs.
― Ah oui, c'est vrai. Programme une date avec elle, tu n'auras qu'à me tenir au courant, d'accord?
― Ça marche. Je dois raccrocher Amy. A ce soir ? Dix-neuf heures ça te va ? Je t'enverrai l'adresse par sms.
― A ce soir Joey, dis-je en raccrochant.
L'appel aurait dû me soulager, mais la perspective de rencontrer ses parents ne me réjouit pas tant que ça. C'est une étape un peu obligatoire dans une relation, j'imagine bien que je ne vais pas pouvoir y couper encore bien longtemps. Autant enlever le sparadrap d'un coup pas vrai ?
J'essaye de me concentrer sur mes dossiers de travail, mais une nouvelle fois, mon esprit divague. Mon chignon que j'ai fait à la va vite ce matin s'écroule, des mèches s'en échappent en tous sens. Il va falloir que je le refasse tout à l'heure, avant de me prendre une réflexion. Je cogite sur ce que m'a dit Kelly et sur le fait de travailler dans un autre cabinet d'avocat que celui-ci.
Sur le papier, cela semblerait une bonne solution et pourtant, j'ai des sueurs froides à m'imaginer faire ce travail ailleurs. Pas pour le fait « d'abandonner » ma famille, mais plus pour le travail en lui-même ? Pourtant, je suis quasi sure que le problème ne vient pas de là ? J'aime mon métier, pas vrai ? Je prends le temps de regarder quelques offres d'emploi sur mon portable à ma pause déjeuner. Mon profil correspondrait en tout point pour postuler : diplôme, expérience, tout y est. Les salaires proposés sont même bien plus élevés que ce que je touche actuellement.
Je referme vite la page sur mon téléphone. Les nausées et hauts le cœur sont de retour. Je ne suis pas enceinte, j'ai fait un test récemment dans le doute. Pourtant, mes nausées ont commencé bien avant ma relation avec Joey. Je secoue la tête pour ordonner mes pensées... Je n'ai pas à prendre une décision pour mon avenir professionnel, là, tout de suite... Oui voilà, je peux réfléchir tranquillement à la question et voir ce qui me convient le mieux. Personne ne m'a demandé de changer toute ma vie sur le champ. Oui, personne... Personne sauf mon corps entier qui me le crie. Je chasse une nouvelle fois cette pensée et me remets au travail. La pause est terminée.
*****
Lorsque je retrouve Joey devant le restaurant, je ne peux m'empêcher de le trouver très charmant. Il est habillé très classe, j'ai un peu honte, je porte encore mon tailleur de travail et mes cheveux sont un désastre. Je n'ai pas vraiment eu le temps de rentrer me préparer, j'arrive tout droit du Cabinet. Et pourtant, le sourire que m'envoie Joey et le regard qu'il me porte me fait me sentir belle et spéciale.
Il m'embrasse sur la joue et son parfum m'enveloppe. Il saisit ma main et nous entrons dans le restaurant. C'est un endroit très chic, le style de restaurant qu'approuverait ma mère sans hésiter. Je préfère les choses plus simples mais j'apprécie l'effort de Joey.
― Je suis désolé pour Boxing Day, s'excuse une nouvelle fois Joey.
― Non, ne t'inquiète pas, vraiment, c'était juste une idée comme ça. Et puis, je suis bien placée pour comprendre tes obligations professionnelles !
― Oui c'est vrai, réponds Joey qui semble soulagé. Au fait, mes parents t'invitent dimanche prochain, ça te convient ?
― Oui, ça me va.
Je pense en mon fort intérieur que la bataille inter-famille pour nous avoir à table les dimanches va être sympa. Joey me raconte sa journée et je l'écoute me parler. Je suis plutôt silencieuse pour une fois. J'aimerai lui confier mes doutes professionnels et mon envie de quitter éventuellement le cabinet familial, mais les mots semblent bloqués dans ma gorge.
Fort heureusement, Joey possède des atouts suffisants pour me faire oublier mes tracas. C'est avec volupté que je le laisse m'embrasser à notre retour chez lui. Je me laisse fondre dans ses bras et ne pense plus à rien.
VOUS LISEZ
Prendre son envol
General FictionAmy, avocate en Irlande, travaille dans le cabinet familial "O'Donnel & Associés", aux côtés de son père et son frère. Son avenir est réglé comme du papier millimétré, tout a été planifié et pensé. Sa famille gère sa vie professionnelle et même priv...