« Enrico ! Viens boire un coup mon vieux ! Ça fait longtemps qu'on ne t'as pas vu, ne m'dis pas que cette histoire tourne encore dans ta caboche.
- Ho ! Non, non, ahah, mais tu sais ce que c'est Henry, le repos dominical est sacré, et en ce qui me concerne, c'est pas au bar mais dans mon canapé que je le prends, à lire mes bouquins.»
Ne voulant pas passer plus de temps à s'expliquer, Enrico se dépêcha de saluer ses camarades de beuverie et, baguette sous le bras, retourna chez lui.
«Vite, vite, se disait-il. Il faut que je rentre vite.» C'est ainsi un Enrico essoufflé qui arriva chez lui. Il posa la baguette sur la table et vérifia son pot-au-feu. Il continuait à chauffer à feux doux, son trajet jusqu'à la boulangerie n'avait pas été long, encore une fois il s'était inquiété pour rien. Trente minutes restaient avant que son plat soit à son goût, largement le temps de plancher sur cette histoire qui, contrairement à ce qu'il avait dit plutôt, tournait encore et toujours dans son esprit.
Tirant la chaise de son bureau en bois brute, Enrico s'assit et se remit au travail, inlassablement. Au milieu des feuilles en pagailles sur lesquelles étaient griffonnés notes et schéma, une page de journal, seul et, elle aussi, annotée en tout sens.
«Fait-Divers :
Une femme âgée d'une soixantaine d'années est retrouvée morte, d'un arrêt cardiaque présumé, près du petit village de Sablé-Sur-Saone. C'est son fils, rendant visite à sa mère veuve et vivante seule, qui fit la macabre découverte et appela les autorités. La cause serait un âge élevé et une trop grosse consommation d'alcool, très fréquent dans cette région »
Sablé-Sur-Saone. C'est le village d'Enrico, et cette vieille femme, c'était sa voisine, mais aussi son coup de cœur, la personne avec laquelle il lui arrivait de parler tout le dimanche durant, délaissant même les copains du bar. Lorsqu'il apprit, par la rubrique faits-divers, l'évènement tragique, cela lui monta à la tête. Un pan de sa vie flambait et, avec, un morceau de son cœur se brisa. La tristesse s'estompant grâce au temps, il se pencha plus sur ces quelques lignes, quelque chose clochait et, dès cet instant, Enrico passa son temps à décortiquer toute cette histoire, quelque chose n'allait pas.
Elle, elle lui avait peu parlé de ce fils qui ne venait que très rarement, et pas du tout d'éventuels problèmes cardiaques. Évidemment, pour tous, ce n'était qu'un fait comme un autre, pour ainsi dire un fait-divers, comme il y en partout en France, surtout que rien n'est plus habituelle qu'un vieux qui clamse. Mais pour Enrico, ce n'était pas que cela, c'était plus qu'un fait-divers, c'était une tragédie, et ce n'était pas normal, c'était une morte, ce n'était pas une vieille, c'était quelqu'un qui, à chaque instant de la vie, avait le même âge que lui, lui aussi a la soixantaine. Et donc ? S'il mourrait, pour lui aussi, cela aurait été normal, banal ?
Non.
Enrico se pencha sur ses notes, soulevant feuilles et morceau de papier journal, ouvrant livres de médecine et de cardiologie qui traînassaient un peu partout, mais, au fond, cherchant ce qui lui manquait.
Ce fils, qui était-il, pourquoi ne lui en avait-elle pas plus parlé ? Peut-être qu'elle n'y avait pas pensé, ça aurait été logique, ils étaient si bien à parler de tout et de rien, pourquoi l'embêter avec ce genre d'histoires sans importance ? Mais d'un autre côté, la famille n'est-elle pas une partie de nous-même, pourquoi ne pas avoir abordé un sujet de ce poids ?
Enrico, pesant le pour et le contre, pour la centième fois, se mit à divaguer. Peut-être n'est-ce pas son fils mais un homme ayant prétendu être son fils, qui était venu cambriolé cette pauvre Simone. En effet, il habitait loin de ce qu'il savait, et ne serait pas venu sans raison. Celle-ci, le surprenant, fit une crise cardiaque ! Craignant que quelqu'un ne le voie, ou que la gendarmerie ne retrouve des marques de son passage après que l'on eusse découvert son méfait, il prit la peine de les appeler lui-même ! Qui pourrait le soupçonner de mentir ? Après tout, elle était vieille et seule, la mort n'était qu'une question de minutes, l'autopsie n'a donc pas été demandée, et imaginer que quelqu'un eusse menti à ce point n'avait d'aucune sorte effleuré l'esprit des gendarmes ! Sablé-Sur-Saone était si calme. Et, n'ayant pour seul famille que son fils, ils ne se sont pas donné la peine de rechercher qui que ce soit, tout le monde sachant qu'elle n'avait plus que son fils , fils qui était alors, prétendument, présent.

VOUS LISEZ
Le faits-divers
Mystery / ThrillerEt si j'avais raison ? Et si je devais faire ma justice moi-même ? Et si c'était les autres qui ne voyaient pas, et moi qui avais tout compris ?