La loi de Célia, Tome 1, Cœur rebelle

Le mariage

Le mariage

- Vous pouvez embrasser la mariée ! S'exclama Mathieu, le prêtre qui officiait de manière non-officielle aujourd'hui.
Cyrus ne se fit pas prié. Après avoir dévorée ma meilleure amie des yeux pendant tout le discours, il l'enlaça passionnément et l'embrassa à faire rougir toute l'assemblée. Ces deux-là s'étaient vraiment bien trouvés et j'étais la première à célébrer leur bonheur. Cette année n'avait pas été tendre avec eux et ils avaient dû surmonter des événements qui auraient fait flancher les coeurs les plus solides.
Mais ils avaient aussi eu la chance de se rencontrer et ils s'aimaient d'un amour à faire plier l'univers. Ils auraient fait n'importe quoi l'un pour l'autre. Ils avaient d'ailleurs fait n'importe quoi  et ils étaient passés très proche de la catastrophe à plus d'une reprise. Ils étaient conscients qu'ils avaient eu beaucoup de chance, mais ils ne savaient pas que parfois la chance a besoin d'être un peu aidée.
Julie se doutait bien que je lui cachais des choses, mais elle n'avait elle-même pu m'avouer l'implication de Cyrus dans l'intervention qui l'avait sauvée de son agresseur qu'à demi-mots. Quand un homme s'en était violemment pris à elle en pleine rue, un soit-disant inconnu l'avait arraché à son corps et l'avait passé à tabac avant de repartir sans un mot.
Il ne m'avait pas fallu attendre le portrait robot du sauveur pour me deviner qu'il ne s'agissait d'autre que de Cyrus. Ce que Julie ignorait par contre, était que son mari aurait probablement eu des ennuis avec la justice si son agresseur n'avait pas subitement perdu la tête. Un coup de chance. Enfin, un coup de chance un peu aidé.
Au final, nos vérités partielles ne nous empêchaient pas d'avoir entièrement confiance l'une en l'autre. Julie était l'humilité incarnée et avant sa rencontre avec Cyrus, elle avait passé le plus clair de temps à essayer de devenir invisible pour ne pas avoir à se confronter au monde. Si bien qu'elle en avait oublié de briller. Cyrus a rallumé la flamme qui sommeillait au fond d'elle et désormais, elle irradie tout ce qu'elle touche de sa lumière intérieure.

C'était l'inverse pour moi. J'avais toujours aimé vivre en pleine lumière et j'avais toujours eu besoin de briller et le dernier homme avec qui j'avais eu une relation avait tout fait pour éteindre cette lumière. Il y était presque arrivé. Depuis je n'avais réussi à reconstruire qu'un artifice de clarté. Je jouais la comédie au quotidien en espérant qu'un jour la comédie devienne réalité. Si je ne jouais pas, je sombrais.

Cyrus et Julie se détachèrent à regret l'un de l'autre pour nous faire face et toute l'assemblée se leva pour applaudir. Ils avaient signé les papiers à la mairie deux jours auparavant et seuls Gari, le meilleur ami de Cyrus et moi-même étions présents. Il n'y avait pas eu de cérémonie, mais nous avions dîné ensemble le soir-même et ce fut une journée pleine de bonheur.
Aujourd'hui ils célébraient avec tous les gens qui les aimaient et qui étaient venus des quatre coins du monde pour prendre part à leur bonheur dans la petite ville de Giverny. Ils avaient installé des tonnelles dans le jardin d'un des amis de Cyrus et le cadre était magnifique.
Le frère de Julie avait pratiquement tout organisé pour se faire pardonner de s'être lui-même marié sans prévenir personne et il n'avait pas lésiné sur les moyens. Il avait offert à sa soeur le mariage romantique qui fait encore rêver beaucoup de jeunes femmes.
Pourtant, je me sentais en décalage avec toute ces festivités romantiques. Julie et Cyrus avait peut-être réussi à me faire croire que l'amour existait finalement, mais tout ceci n'était pas pour moi. Moi, je voguais d'histoires d'un soir en histoires sans lendemain et je ne m'attachais pas aux hommes. Ils venaient, ils repartaient. Au mieux nous restions bons amis, au pire je devais leur lancer un message un peu plus clair sur mes intentions, ou plutôt mon manque d'intention à leur égard.

Je vidai ma coupe de champagne d'une traite, renversant quelques gouttes sur ma robe à sequins au combien inconfortable. Mes bras frottaient contre le tissu et les dizaines de petits disques pailletés égratignaient ma chair à chaque mouvement. Une véritable torture.
Julie était occupée à remercier tous ses amis d'être venus et j'en profitai pour m'éclipser un instant. J'avais beaucoup de travail en retard et je devais absolument terminer le projet sur lequel je travaillais pour lundi, mais si Julie me surprenais en train de me pencher sur mes maquettes le jour de son mariage, elle me ferait un nouveau sermon et celui-ci ne se terminerait en baiser fougueux.
Malheureusement mon patron ne comprenait pas que le mariage de ma meilleure amie était plus important à mes yeux que la maquette promotionnelle pour un branche d'hôtels de luxe implantée un peu partout dans le monde. C'était l'un de nos plus gros clients et je n'avais pas le droit à l'erreur, mariage ou non.
Je me réfugiai donc dans les toilettes de la salle attenante et une fois le verrou tourné, je sortis ma tablette de travail pour reprendre mes croquis. Le luxe, d'habitude ça m'inspirait. Les paillettes étaient une bonne façon de camoufler les meurtrissures de la réalité et l'argent pouvait ériger du beau sur du laid sans que personne ne se rende compte de la pourriture sur les fondations. Je me retrouvais dans la facticité du luxe.
Faire rêver les autres pour oublier ses propres cauchemars. Un peu de brillant, un peu de bling, quelques paillettes et les pupilles se détournaient de leur noirceur intérieure pour s'évader dans un monde de lumières artificielles.
Je peinais cependant à faire l'éloge du faux au milieu des sentiments si vrais, si purs que nous étions tous venus célébrer ce soir. L'amour de Julie et Cyrus me sortait de ma zone de confort et je n'aimais pas cela du tout. Je n'avais pas envie de croire au bonheur sincère, à l'osmose des âmes, ou à l'harmonie des coeurs. J'avais besoin que mon monde rationnel, neutre reste stable. Si je me mettais à rêver à ce bonheur, je sombrerais de nouveau.