Partie XIV

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L'entraînement est comme je me l'étais imaginé. Je prends des coups, on m'apprend à me battre. Des fois, je me retrouve à terre sans même savoir comment. Mes phalanges sont endolories, j'ai des bleus sur le corps.
Lorsque l'on me demande de monter sur le ring, j'essaie de me défiler.
De plus, nous nous entraînons dans une grange aménagée en dehors de la ville; dans un endroit un peu désertique.

Éden appelle son frère, et lui demande de me défier. Alex hésite longuement, et décline d'un signe de tête. Mais Éden insiste, et commence à s'énerver.
- Il faut bien. Elle n'est la petite protégée de personne, et tu dois lui apprendre les bases. Sinon, quand ça lui arrivera réellement, comment veux-tu qu'elle s'en sorte ?
- Je refuse de lui faire du mal, répond-t'il en serrant les dents.

Éden se met à ricaner, mais d'un rire plutôt désespéré que moqueur.
C'est à mon tour de le contredire.
Je m'avance vers eux peu à mon aise, mais ne me laissant pas abattre face à leurs regards inquisiteurs.
- Il a raison, dis-je en m'adressant à Alex. Il vaut mieux me préparer autant que possible, même si je dois avoir mal.

Il pousse un gémissement plaintif, puis il monte sur le ring, suivi de moi.
- Je vais y aller doucement, dit-il.

Je n'ai même pas eu le temps de répondre que je me reçois un coup sur la tempe qui manque de me faire tomber par terre. Je me retiens, le temps de reprendre mes esprits.
Il y va doucement...?
- Tu manques de réflexe. Il faut que tu sois toujours prête. Ne jamais te laisser déconcentrer, et observer attentivement les mouvements de ton ennemi pour prévoir ses intentions. Il va falloir travailler dessus.

Les minutes deviennent des heures, elles s'enchaînent. Je manque de lâcher, de tout abandonner et de partir, mais je reste par dignité. Alex me donne sans cesse des indications que j'ai du mal à appliquer. Mes muscles sont raides et douloureux. Je me sens frêle et épuisée. J'ai l'impression qu'Alex n'est plus mon ami une fois sur le ring, mais un véritable adversaire. Il prend mon entraînement à cœur, et il n'est pas prêt de me lâcher tant que je n'ai pas acquis ce qu'il considère comme « les bases ».

À la fin de la journée, il vient me voir pour s'excuser de ce qu'il m'a fait endurer. J'accepte ses excuses sans rancune, bien consciente que ce n'est plus un jeu, et que je dois apprendre malgré tout.

Nous prenons une chambre dans un hôtel pour la nuit. Puis le lendemain, nous retournons à la grange et tout recommence. Je tombe encore, me fait encore frapper, ne parvient pas toujours à esquiver les coups. Les courbatures de la veille sont toujours présentes.
On m'emmène à l'extérieur. Un stand de tir improvisé est placé à côté du champ. Je m'attends déjà au pire, m'imaginant rater sans cesse la cible, recevoir des brimades, ou blesser quelqu'un par ma maladresse.
- On va t'apprendre à tirer, à viser. Tout peut arriver, et tu ne peux pas intégrer « notre monde » sans savoir te servir d'une arme, dit Éden.
- Je ne veux tuer personne, dis-je en marmonnant.
- Eh bien il va falloir t'habituer à l'idée que tu seras très probablement confrontée à la mort, et que parfois c'est tuer ou être tué.

J'avale difficilement ma salive.
- On va commencer simplement avec une carabine à plomb. Ça t'habituera pour la suite, pour passer à des armes plus sérieuses.

Il me tend l'arme.
Étrangement, je le sens impliqué. Lui qui me considérait comme une personne indigne de confiance il y a encore peu, est désormais à mes côtés pour m'apprendre à tirer. Je n'imaginais en rien qu'il resterait ici pour moi. Peut-être que je me suis lourdement trompée à son sujet, et qu'il n'est pas aussi désagréable que je ne le pensais.
Alex quant à lui, m'observe comme on observerait un spectacle ennuyeux, avec un air indifférent qui me laisse perplexe.

La carabine est lourde. Je vise autant que je peux la cible. Je place ensuite mon doigt sur la gâchette avec appréhension. J'appuie. La balle de plomb a marqué son passage sur le côté de la cible, à quelques centimètres du vide.
- C'est bien, mais il y a encore beaucoup à faire. Ce n'est pas suffisant. Il faut continuer.

Plus tard, nous prenons ce que je crois être une pause. Nous retournons dans la grange, et nous asseyons sur des canapés. D'autres membres sont là, s'affrontant sur le ring, ou discutant simplement. J'ai eu le temps de remarquer qu'il n'y avait presque aucune femme. A part moi et une autre présente ici même, je n'en vois aucune. Et nous sommes environ seize dans cette salle.

Alex doit remarquer mon questionnement, car il intervient comme pour me répondre.
- Nous avons peu de femmes dans notre gang, et je suppose que c'est à cause du côté machiste d'Éden. Mais pour moi, la différence de sexe n'a pas d'importance. Tant qu'une recrue semble avoir l'envie, le potentiel et être de confiance, je l'invite à nous rejoindre. Hommes ou femmes confondus.

J'hoche la tête. Alex jette un œil à son frère s'attendant à une réaction de sa part, mais il ne réagit même pas. Il a appuyé sa tête contre sa main, avachit contre l'accoudoir. Il paraît réfléchir.
- A quoi tu penses ? Lui demande son frère.
- Aux épreuves, dit-il.

Alex se raidit immédiatement, comme s'il envisageait le pire.
- Et je suppose que tu sais déjà ce que tu veux...
- C'est exact.
- Développe ?
- Ils préparent quelque chose. C'est certain, et je le sens arriver. Des membres m'ont fait passer le message qu'on était parfois suivis, et qu'on nous gardait à l'œil pour une bonne raison. Alors je pensais que l'on pourrait envoyer Anelyne dans un de leurs lieux de retrouvailles, pour qu'elle se mêle à la foule et découvre ce qu'ils manigancent. Et si elle pouvait discuter avec l'un d'entre eux pour obtenir des informations, ce serait encore mieux. Et ça montrerait une partie de ce dont elle est capable.

Alex se lève et se serre un verre de quelque chose, qui ne ressemble pas à du jus de fruit.
- Tu sais ce qu'elle risque si elle se fait repérer. C'est de la folie, risquer sa vie comme ça.
- Oui, je suis le premier à savoir tout ce que l'on risque sans cesse. Mais combien de fois on a risqué notre vie ? Un jour viendra où elle risquera la sienne, alors autant l'habituer maintenant.
- J'ai l'impression que tu parles d'elle comme d'un objet.

Je décide enfin de partager mon avis. Je ne peux plus rester dans le silence, peu importe à quel point peut être intimidante la situation.
- Je suis prête à faire mes preuves. Peu importe si ma vie est en jeu. Je sais que je vais m'en sortir et y arriver. Alors, comment on s'organise ?

Alex surpris se retourne vers moi et me regarde avec stupeur. Je détourne les yeux. Éden lui, ne semble pas ému le moins du monde. Il se contente de réfléchir à un plan.
Je me sens moi-même peu assurée de ce que je viens de dire. Si je vais y arriver, je n'en ait aucune idée. Mais ma volonté est puissante, et je suis prête à me jeter dans la gueule du loup pour que l'on m'accorde enfin leur confiance et démontrer que je ne serais pas inutile.

Âmes en peine [ TERMINÉE ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant