2. Le corps rendu à la mer

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Lorsque Lexa était partie sept ans auparavant avec ses mots si violents, Père avait été à la fois son confident, sa béquille et son meilleur ami. Malgré toute sa charge de travail et ses autres enfants, il avait su prendre énormément de temps pour elle, pour la consoler, la relever et la renforcer.

Elle savait qu'elle lui en serait éternellement reconnaissante et lui avait pardonné depuis longtemps les mots durs qu'il avait pu avoir à son égard. Elle pensait maintenant qu'ils traduisaient seulement une réalité que son jeune âge ne lui permettait pas de voir.

Il avait pu lui transmettre tout son art, ce qu'il avait peiné à faire les années précédentes. Elle apprit plus en trois ans que pendant toutes les années précédentes. Elle put découvrir les subtilités de la politique, les casse-têtes de l'économie, la beauté de la géographie, etc...

Dans son cœur résidait vraiment une envie de bien faire, de devenir une reine à la hauteur de son père. Elle voulait apporter autant de bien à l'Arche qu'il avait pu le faire, en gardant la paix pendant de si nombreuses années avec leurs voisins, en faisant prospérer l'île et le commerce de bateaux, en développant de nouveaux concepts de partage des idées qui permirent d'augmenter la production agricole.

Elle parut bien plus souvent lors de fêtes et cérémonies, au lieu de s'enfuir dès la première occasion – mais elle tint à ne jamais mettre de jupe. Elle vit alors son rapport avec les gens changer très vite, bien plus vite qu'elle ne l'aurait cru. On la voyait à présent comme la princesse.

Quant à cette histoire avec Lexa, comme le visage de Clarke, à l'époque, était plus connu comme celui d'une gamine des quartiers que comme celui de la princesse, les rumeurs ne circulèrent pas et cet élément de sa jeunesse tomba vite dans l'oubli.

Sauf dans son cœur, évidemment.

*

Père était malade depuis environ un an lorsqu'il mourut. Il avait attrapé une mauvaise bronchite, qui s'était transformée, au rythme des rémissions et des rechutes, en une maladie lui dévorant le corps et l'esprit. Clarke assumait alors déjà la majorité du travail, sa seule différence alors avec une vraie reine étant la Pierre. Tout était allé très vite et ce ne fut que plusieurs semaines après qu'elle put vraiment faire son deuil.

Son couronnement se fit le lendemain du décès de son père. La tradition voulait que la population se réunisse sur la plage de la Croix, appelée ainsi car on pouvait, les jours de beau temps, apercevoir au loin un énorme rocher taillé en forme de croix – par qui, pourquoi, personne ne le savait. Le nouveau souverain, sous les acclamations (en général), embarquait dans un canot avec le corps lesté de l'ancien. Quelques coups de rames, qui semblaient bien long après une nuit à veiller, et lorsque la barque était assez loin de la rive, le roi, ou la reine, pouvait jeter le corps par-dessus bord, avec plus ou moins de facilité.

Clarke pleura à ce moment-là, mais heureusement personne ne pouvait la voir.

Quand elle revint sur la rive, ses larmes avaient suffisamment séché pour que son sourire de façade paraisse juste. Sa garde la collait de près, lui évitant de se faire écrabouiller sous la foule compacte qui se pressait pour pouvoir la voir. Un malaise la prit à cet instant, mais ce n'est que lorsqu'elle aperçut une lueur à la fois de vénération et d'envie dans le regard d'un de ses anciens amis qu'elle comprit.

Même sur cette île loin des malheurs du continent, une personne n'était jamais considérée que par ce qu'elle incarnait. Ces gens l'avaient tous déjà vue plus d'une fois et elle avait, en bonne Arcadienne, parlé à la plupart, mais maintenant que son titre passait au grade supérieur, leur avis à son égard changeait. Clarke eut envie de crier qu'elle était toujours la même. Que la seule différence résidait en cette part d'elle qui s'était brisée en voyant disparaître lentement le visage de son père dans l'eau claire.

Mais bien évidemment, c'était impossible.

Les festivités allaient continuer pour la population le soir - et toute la nuit -, par un banquet gargantuesque où l'alcool coulerait à flot et où les chandelles ne seraient pas les seules à être éméchées.

Quant à Clarke, cette après-midi-là, elle découvrit le rituel de la Pierre.

Les TrahisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant