4. La prophétie

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Clarke et ses conseillers finissaient à peine de conclure les derniers détails lorsque son heure journalière de rencontre avec la population arriva. Elle avait tenu à augmenter la fréquence de ces rencontres. C'était, lui semblait-il, la partie la plus importante de son métier, celle où elle se sentait la plus utile.

Elle descendit les escaliers, et s'installa à une table dans la cour, Simrit à sa gauche et Mooc, le maître des finances et un de ses anciens précepteurs, à sa droite. Il faisait beau ce jour-là, elle en avait profité pour tenir la séance dehors. Clarke aimait sentir le soleil brunir sa peau.

En général, les gens venaient la voir pour lui faire part des soucis qu'ils ne pouvaient pas régler eux-mêmes. Elle établissait alors un partage équitable dans le cas d'un héritage, envoyait un chasseur régler son compte au loup qui attaquait les brebis ou un garde protéger une famille d'un voisin fou, une fois, elle avait même dû dessiner un mouton à un enfant. Mais parfois, ils venaient pour lui annoncer de bonnes nouvelles. Ils lui présentaient leur nouveau-né, venaient se vanter de leur chiffre d'affaire, révélaient leur mariage.

De temps en temps, elle avait la bonne surprise de croiser un ami d'enfance qu'elle n'avait pas vu depuis longtemps, et finissait la soirée avec lui à la taverne de Raven. C'était pour ces moments-là qu'elle aimait être reine, pour voir dans des yeux des étincelles de joie ou de reconnaissance.

Il lui arrivait, bien sûr, de ne pas pouvoir accéder à toutes les requêtes. En général, tout se passait bien, car les personnes normales étaient toujours très arrangeantes et les Silencieux n'osaient pas venir. Mais de temps en temps, comme ce jour-là, un vieux fou arrivait à passer le filtre d'entrée et venait s'imposer pour lui cracher sa rage au visage, bafouillant des inepties sur le continent, sur son égoïsme, ou parfois sur ses fesses qui le grattaient.

Quand une femme aux cheveux emmêlés s'arrêta devant elle, Clarke se douta tout de suite qu'elle faisait partie de cette dernière catégorie de personnes (les vieux fous, s'entend). Elle leva deux doigts en direction des gardes, pour leur indiquer de se tenir prêts.

« La trahison arrive Clarke, la trahison arrive... Tiens-toi prête, car l'horreur est proche. »

Quelque chose dans sa voix croassante la fit frissonner. Clarke ne croyait pas aux prédictions idiotes des quelques voyantes de l'île, mais dans le ton de celle-ci sonnait la vérité.

Sauf que Clarke n'avait aucune envie de réfléchir à cela. Elle fit un signe et deux des gardes prirent la folle chacun par un bras, l'emmenant doucement mais sûrement vers la sortie.

« Je te souhaite une bonne journée. » Clarke lui dit calmement alors que la vieille disparaissait. Elle ne montra pas que tout cela l'avait ébranlée plus qu'elle ne l'aurait voulu. S'il y avait bien une chose qu'être reine lui avait apprise, c'était de savoir feindre les émotions. Et ici, c'est un doux flegmatisme et une mine avenante qu'il lui fallait.

L'habitude fit que son visage resta neutre alors que le prochain habitant commençait son discours. Le seul geste qu'elle s'autorisa fut de se masser doucement la nuque.

Les TrahisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant