Je me réveillais de bonne humeur, contrairement à mon état de la veille. Assise dans le jardin, un livre posé sur les genoux, je tentais de profiter des quelques rayons de soleil qui perçaient à travers la couche de nuages gris. Un vrai temps d'automne londonien. En descendant ce matin, mon regard était tombé sur le calendrier de la cuisine. Nous étions le 3 novembre. J'avais brusquement pris conscience que je partais dans six jours. Même si mon départ était toujours bien présent dans mon esprit, j'avais perdu le compte des jours. A mon arrivée ici, je m'étais dit que ça allait être long. Aujourd'hui, j'avais l'impression inverse : ces derniers jours étaient passés tellement vites, et les prochains risquaient de suivre le même chemin. Dans une semaine, je serai de retour en France, chez ma tante, sans amis. Ou avec des amis, à des centaines kilomètres de moi. Ou peut-être qu'ils m'oublieront, avec le temps et la distance. Pour la première fois, j'avais peur de quitter un endroit. Personnellement, c'était quelque chose que je n'étais pas près de faire. Et je n'en avais pas envie. Même si, pour eux, je n'étais que de passage, pour moi, ils avaient changé ma vie, quelque part. La sonnette me tira de mes pensées, mais Tony fut plus rapide et je l'entendis ouvrir la porte. Et d'un coup, les yeux dépareillés d'Elliot se plantèrent en face de moi :
- On a besoin de ta salive.
- Oui, j'ai bien dormi, merci, et si tu veux m'embrasser, non, parce que je n'en ai pas envie et en plus, quand je suis pas bourrée c'est nul, répliquais-je.
Ils avaient tous cette manie de débarquer à l'improviste, c'était pas possible ! Au moins, les Maxwell savaient utiliser une sonnette et une porte d'entrée, eux.
- Non, mais tu ne vas pas bien toi ! ris Jimmy.
- Ah oui, parce qu'aller bien, ça veut dire débarquer chez moi, et me demander ma salive ?
- Non, laisse-nous t'expliquer ! fit son jumeau.
Dix minutes plus tard, ils finissaient de m'expliquer leur idée, tout content d'eux.
- Donc, parce que j'ai les mêmes goûts que votre père, c'est le mien ? résumais-je. Vous êtes sûr que vous avez décuvé ?
- N'oublie pas que tu lui ressemble, souligna Jimmy.
- Et tu ressembles aussi à Jimmy, ajouta Elliot.
- Et vous deux, vous ne vous ressemblez pas, pourtant vous êtes frères. Et même jumeaux. Et pire ! La bêtise n'a pas été partagée entre vous deux, elle a été multipliée ! m'exclamais-je.
- Ça, c'est pas très sympa. Firent-ils de concert.
- Et votre fixette sur mon père, que je ne connais même pas d'ailleurs, c'est sympa ? m'exclamais-je en me levant. La réponse est non.
- Allez, ça ne coûte rien d'essayer... commença Jimmy.
- Laisse... l'arrêta Elliot. On n'aurait pas dû lui dire ça comme ça, c'est tout. Si on lui avait proposé autrement...
- J'aurais peut-être accepté de faire votre test ADN de merde, mais non, le coupais-je. Tout simplement parce que c'est votre père, on a le même âge mais pourtant, vous avez votre mère et moi la mienne. Or, ça n'est pas la même personne.
- Pardon, s'excusa Elliot. Euh... A plus tard quand même hein...
Et ils sortirent de la maison. Comme ça. Cela s'était passé si rapidement que je cru un instant avoir tout imaginé. Si Tony ne me regardait pas avec des yeux ronds comme des soucoupes, j'en aurai été persuadée. Mon frère semblait aussi choqué que moi que cette idée est pu leur traverser l'esprit. Je m'en voulais un peu quand même de leur avoir parlé de la manière dont je l'avais fait, mais... c'était un sujet sensible, et la manière dont ils l'avaient amené était... déplacée ? Ça devait être ça. La façon dont ils m'avaient exposé leur plan. Faire un test ADN, dans le dos de leur père, en ayant récupéré un de ses cheveux, ou je ne sais quoi. Malsain. Et puis, il n'y a que dans les films que ça arrive ce genre de chose. J'ajoutais aux raisons contre cette idée qu'ils avaient quelque chose à prouver à je ne savais qui, ou qu'ils voulaient avoir une histoire incroyable à raconter.
Plus tard dans la journée, nous nous étions réunis, à nouveau dans le garage des Miller. Cette fois-ci, c'était la mère de Sacha qui m'avait ouvert. La rousse m'avait rendu mon appareil photo en m'annonçant :
- J'ai récupéré les photos, et données à Ella, en disant que tu me les avais envoyées hier quand tu étais rentrée. Sauf celles du parc.
- Merci, soufflais-je, soulagée. Je ne sais pas ce que j'ai fait, mais je ne te mérite pas, mais alors pas du tout.
- Tu me revaudras ça, fit-elle, mais je n'aime pas le mensonge.
- Alors, disons que c'est de l'omission ?
- Mouais... En même temps, je comprends que tu veuilles garder des choses pour toi.
Puis la rousse me précéda dans sa maison, ses boucles se balançant dans son dos au rythme de sa démarche. Cette fois-ci, j'étais arrivée la dernière. Les uns et les autres avaient reprit exactement les mêmes places que la veille, me donnant l'impression d'avoir quitté le garage seulement cinq minutes. Il faudrait peut-être que je leur dise que c'était mauvais de prendre des habitudes si marquées, surtout à cet âge. Je me laissais tomber enter Adam et Elliot. Le premier me pressa l'épaule et me demanda si j'allais mieux, tandis que le second s'écarta un peu, je prenais plus de place que l'écart qu'ils avaient laissé entre eux.
Les jumeaux avaient remis leur idée sur le tapis, exposée à tous. Personne n'y croyait vraiment non plus, à part eux. J'avais refusé, encore et encore. A chaque fois, ils étaient revenus à la charge. D'abord l'un. Puis l'autre. Enfin, les deux ensembles. A chaque nouvelle tentative, un nouvel argument, une nouvelle manière d'aborder la question, un nouveau tempérament.
- Mais les gars, lâchez l'affaire ! m'étais-je exclamée en roulant des yeux. On dirait moi quand j'essayais de faire changer ma mère d'avis pour le contre-Halloween. J'ai pas envie, j'ai pas envie.
- Elle a raison, sur ce point, me soutint mon voisin de gauche, au grand étonnement de tous. C'est vrai, on ne peut pas la forcer.
- Faux frère, lâcha Elliot.
Ils avaient fini par dire que j'avais juste peur du résultat. Ce qui était faux. Pratiquement dix-sept ans à vivre sans lui, son absence m'était presque indifférente. Presque. Je ne voulais pas leur donner gain de cause, mais pour qu'ils arrêtent de me rabâcher les oreilles avec leur histoire délirante, j'avais accepté leur demande juste avant de partir, quand le garçon aux yeux hétérochromes avait tenté une dernière fois de me faire flancher. Aussitôt, Jimmy avait sorti un petit tube hermétique, et devant mon air perplexe, il m'avait assuré qu'il l'avait acheté à la clinique, qu'il était convaincu que j'accepterai un moment ou un autre, et se baladait avec pour ne pas me laisser le temps de changer d'avis. Et qu'il fallait que je crache dedans jusqu'au trait. Ce que je fis, avant d'ajouter qu'il était vraiment malsain. Maintenant que j'étais allongée dans le noir, et que je savais que les jumeaux étaient passés par la fameuse clinique en rentrant, je me disais que c'était la pire idée de ma vie. Mais en même temps, une part de moi avait vraiment envie d'y croire. Peut-être qu'après ça, ma vie changerait. Ou peut-être pas. De toute façon, j'étais butée sur l'idée que ça n'arriverait pas et que monsieur Maxwell n'était que leur géniteur, et pas le mien.
Cette nuit-là, je me réveillais de nombreuses fois, et enchaînais les cauchemars et rêves étranges, sans jamais pourtant m'en souvenir. Au petit matin, je finis par me lever, malgré le fait que, dès que je tournais la tête, le monde autour de moi se mettais à tourner anormalement. Il me restait peu de temps à passer avec les autres et je voulais en profiter au maximum. Ne voulant pas rester dans le silence, j'allumais la petite radio de la cuisine. Des notes s'en échappèrent, et une voix grave les accompagnait : ''Don't worry, life is easy...''. Non mon petit, la vie n'est pas facile, au contraire. Mais elle vaut parfois le coup. J'éteignis le poste et me servis un verre d'eau fraîche. Je détestais boire de l'eau en me levant, mais j'en avais sûrement besoin, puisque mon état s'améliora ensuite. Depuis toujours, j'avais cette mauvaise habitude de ne pas boire assez, et je me retrouvais souvent déshydratée, et les lèvres sèches. J'avais passé des sommes monstrueuses en baume à lèvre, sans jamais en trouver un d'efficace. Ce matin-là, je pris deux résolutions : boire plus d'eau et ne plus penser à cette histoire sortie de nulle part initié par Elliot et Jimmy.
VOUS LISEZ
19 Days
RomanceDepuis des mois, Clélie déménage de foyers en familles d'accueils, après avoir fuit le domicile maternel. Ne sachant plus quoi faire, l'assistante sociale chargée de son dossier lui demande de retourner passer deux semaines chez sa mère, à Londres...