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- Tout ce qui suit est raconté dans le passé et non pas dans une suite présente du prologue. -

«Un peu d'amertume et quelques gouttes de joies. Un peu de blanc et beaucoup de noir.»

La lumière tamisée me fatigue plus qu'elle ne m'apaise, je me lève et récupère mon jean ainsi que mon sweat avant de les enfiler. Je jette un rapide coup d'œil à ma conquête du soir. C'est pas dans mes habitudes de rester après avoir tiré mon coup, mais j'avoue que j'étais plutôt crevé cette fois.
Je prends mon pochon de beuh et roule un joint avant de m'accouder à la fenêtre de la chambre. La lune est dissimulée sous les nuages, la Tour scintille dans le brouillard et les rues sont calmes. Je profite de ce moment rare tout en consumant mon spliff. Je ne m'attarde tout de même pas trop et finis par fermer la fenêtre.
Je récupère ma veste, mes clopes et sors rapidement du petit appartement avant de quitter l'immeuble tout aussi vite, je ne sais même pas où je suis. Il fait presque nuit noire quand je m'engouffre dans le froid parisien. Les mains dans ma veste, la capuche sur le crâne et l'inspiration au bout des lèvres, je marche jusqu'à me perdre dans ma propre ville.
Mes pensées sont vagues, tantôt interrompues par des passants, tantôt submergées par un trop plein d'idées. Je sors parfois mon téléphone et y tapote quelques phrases, parfois je les chante même à haute voix, on doit probablement me prendre pour un fou, mais je n'y prête aucune attention.

Le pont d'Iéna est presque désert, seules quelques touristes le traversent à la hâte, en même temps, même le plus fou des Parisiens n'aurait eu envie de se prendre les bourrasques de vent et la pluie incessante en plein visage. Mais moi, c'est ce que je préfère, être seul, et ce n'est presque possible que dans ces moments d'intempéries dans une ville aussi bondée que Paris. Mes yeux se redressent de mon portable et se perdent dans un océan noir. Un regard inhabituel. À la fois perçant et décevant, triste et pétillant, plein de vie et plein de néant. Une petite mine désemparée et du mascara ruiné.

Je ne la connais pas mais je ressens presque de la pitié. Elle est là, en train de pleurer, je la regarde sans oser bouger.
Et puis là, elle passe la rambarde du pont, prête à s'engouffrer dans les vagues de la Seine. Alors, je prends mon courage à deux mains et marche avant d'arriver à sa hauteur.
- C'est dangereux, tu sais. Je commence.
- C'est le but.
Son ton est détaché, ça me décontenance. Elle a dit ça avec une aisance et une assurance, comme si elle était sûre que c'est ce qu'elle voulait.
- Pourquoi ?

Elle ne répond pas, en même temps, elle ne me doit rien, je suis un inconnu.
- Parce que j'en ai marre de vivre. Elle répond contre toute attente.
J'avoue rester stoïque face à ses mots, je ne m'attendais pas à une réponse aussi sincère, même si son geste était explicite, j'aurais pensé qu'elle se tairait ou aurait cherché une excuse à son acte.
- Et tu comptes sauter ? Ma conscience se moque de moi, vu sa posture, évidemment que c'est ce pourquoi elle est là.
- Oui.
Elle est dos à moi mais je peux sentir dans sa voix qu'elle se retient de pleurer.
- Et si tu ne sautais pas, il se passerait quoi ?
- Rien.
- Et si tu sautes, tu crois pas qu'il ne se passerait rien non plus ?
Elle ne dit rien, ses cheveux volent au grès du vent découvrant sa nuque. Le temps est long, très long.
- Peut-être bien, donc, ça ne changera rien que je saute. Elle me dit. Puis, qu'est-ce que ça peut bien te faire ? On ne se connaît pas.
Elle a raison, on ne se connaît pas, mais loin de moi l'envie de voir une personne se suicider sous mes yeux.

- Rien, il est vrai, mais ce serait lâche de laisser quelqu'un s'ôter la vie sous mes yeux.
Le silence règne une fois de plus, elle ne bouge pas, moi non plus.
- Aide moi, alors. Elle me tend sa main, probablement pour la faire repasser de l'autre coté du pont, ce que je m'empresse de faire.
Une fois sur le pont, je la regarde rapidement, elle n'est pas très grande, et ses yeux marrons sont vitreux. Son visage est taché de maquillage. Elle essuie ses joues d'un revers de manche et détourne la tête. Elle est silencieuse, une fois de plus. Elle me tourne le dos, prête à partir.
- Attends, je lui dis.
Elle se tourne pour me faire face une nouvelle fois.
- Promets moi que tu ne tenteras pas ailleurs.
Elle semble surprise par ma requête. Moi-même je le suis, je pense que ma conscience cherche uniquement à s'apaiser.
- Comment tu le sauras, de toute manière ?
J'hausse les épaules, il est vrai, je n'en saurais rien, mise à part si les infos décident d'en parler.

- C'est promis. Elle me dit avant de se retourner et de disparaître.
D'un sens, j'ai l'impression qu'elle m'a dit ça afin de pouvoir s'éclipser au plus vite, mais, quelque chose dans ses yeux me pousse à la croire, une lueur d'espoir que j'ai cru apercevoir me pousse à croire en la sincérité de ses mots.
Je fixe longuement la Seine, un peu chamboulé par ce qui venait de se dérouler. Alors j'ai fait ce que je sais faire de mieux, j'ai couché les événement dans mon carnet, et j'ai continué de marcher.

                                               *

Je ne la connaissais pas, mais son regard m'avait parlé. Cette nuit là, elle ne se doutait probablement pas que c'était elle qui m'avait sauvé.

l'amour des morts - nekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant