Encore une nuit noire et glaciale. Nous avons beau marcher, il n'y a pas grand-chose à faire pour lutter contre ce froid. Mon jogging porté en doublure sous mon pantalon n'a plus aucune efficacité, et frotter mes mains sur mes cuisses ne suffit pas à les réchauffer. Les journées ne sont déjà pas chaudes, alors une fois l'obscurité tombée la température chute drastiquement. J'ai fait glisser mon fusil dans le dos pour pouvoir mettre mes mains dans les poches. L'une d'elles joue avec les plaques d'identification numériques du soldat mourant de tout à l'heure. Je ne sais pas pourquoi je les ai prises. Un réflexe ? À moins que ce ne soit par curiosité, pour répondre à mes interrogations. Il s'appelait Adrian, un Allemand originaire de Munich et ancien soldat de la Coalition. Qu'est-ce qu'il foutait avec deux Russes de l'Alliance Orientale ? J'imagine que, pour certains, la survie prévaut aux rivalités du passé. En voilà un autre qui a décidé d'aller de l'avant, d'évoluer, peut-être même s'était-il permis d'espérer un avenir.
Aucune des catastrophes naturelles ou surnaturelles imaginées n'a eu lieu. Pas d'éruption de supervolcan, ni de pandémie mondiale ou de collision d'astéroïde, nulle invasion zombie ou extraterrestre, pas plus qu'un soulèvement des machines, ça aurait pourtant eu plus de gueule. Non, rien de tout cela, seulement une Troisième Guerre mondiale que l'on ne peut même pas qualifier de « nucléaire » puisque sur environ cent-soixante utilisations d'armes atomiques recensées – dernier décompte officiel avant le blackout – près de la moitié n'était que de petites frappes tactiques inférieures à 0.5 kilotonnes, soit trente fois moins qu'Hiroshima. Loin d'une annihilation totale, ce nombre a toutefois suffi à plonger la planète dans l'ombre, ou la grisaille éternelle comme Oliver aimait à dire. Les colossales quantités de cendres et de poussières radioactives projetées dans l'atmosphère par les multiples explosions ont fini par former une épaisse couche nuageuse qui, aujourd'hui encore, bloque une grande partie des rayons du soleil.
Un dernier acte sans originalité donc, jusqu'aux origines du conflit, au début des années vingt, avec l'avènement de la Seconde Guerre froide. Tout y était réuni, course à l'armement, propagande politique, émergence de blocs idéologiques et reprise des essais nucléaires. Contrairement à ce que beaucoup anticipaient, la crispation diplomatique internationale n'est pas venue des querelles sans fin héritées du siècle dernier mais d'une multitude d'incidents dont la chronologie a toujours prêté à débat. L'événement le plus marquant, où tout a commencé à déraper, est l'assassinat du président Barack Obama durant son second mandat en 2014 lors d'un déplacement en Europe. Attentat politique ou crime raciste isolé, nous ne le saurons jamais car non revendiqué. Dans tous les cas, cette folie a entraîné une radicalisation du pouvoir américain et un repli du pays sur lui-même. Par la suite, d'autres incidents ont également eu d'importantes répercutions mondiales, comme les immenses soulèvements sociaux en Chine, l'invasion de Taïwan, le blocus des nouvelles voies maritimes arctiques ou l'attentat du Sommet pour la paix en juin 2037. Tant d'autres actualités de ces vingt dernières années pourraient alimenter la controverse, mais la crise planétaire autour des terres rares a sans aucun doute été le catalyseur de cette Seconde Guerre froide. L'exploitation de ces métaux précieux destinés à la fabrication de toute notre technologie moderne était devenue un enjeu stratégique considérable. Toutes les tentatives d'accords se sont soldées par de cuisants échecs, permettant à la poignée de pays producteurs de continuer à jouir de leur monopole en toute impunité. Dans ce contexte de réarmement mondial, les pénuries successives et les importantes fluctuations de prix ont forcé les armées à s'approprier l'essentiel du marché pour fabriquer leur matériel de pointe. Cette réquisition amplifia la spéculation et entraîna un ralentissement drastique du développement et des ventes de nouvelles technologies civiles. Un véritable désastre diplomatique, social mais surtout économique, car à l'origine des crashs boursiers de 2026 et 2033. En somme, tout ceci n'a jamais été qu'un tragique jeu de domino dont nul ne sait lequel est tombé le premier. L'humanité se retrouve désormais face à son plus grand défi : survivre à son autodestruction. Et qui sait, si nous parvenons à rebâtir une civilisation, peut-être que les générations futures nous pardonneront, à défaut de nous comprendre.
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Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1
Научная фантастикаAlors que la Troisième Guerre mondiale fait rage, le monde bascule dans l'escalade nucléaire le 21 septembre 2037, « The Enola Day ». Le conflit dure quelques mois, suffisamment longtemps pour défigurer la planète. En Europe, un immense territoire s...