Tu veux jouer avec moi ?
« L’écrivain-mercenaire est-il nécessairement un homme de son temps ? » Dix copies doubles maximum, à rendre pour lundi. Pouah !
Lorsque j’ai accepté l’offre d’enrôlement au Walrus Institute, j’ai d’abord été étonné qu’il faille faire ses classes. J’étais alors encore loin de me douter que lesdites classes étaient à prendre au sens premier du terme. Je m’attendais à suivre des cours de maniement d’armes, à ramper en treillis sur le gravier d’un cimetière pour y chasser la stryge nocturne, à démonter et remonter son stylo le plus vite possible. Je n’ai pas songé un seul instant que cela allait impliquer des cours théoriques d’antithéologie, d’histoire des Arestranges ou encore de ces fichues mathématiques en espace non euclidien.
Et me voilà coincé en permission chez moi, le soir, à bûcher sur une dissertation entouré de piles de vieux livres aux titres aussi absurdes que « L’impermanence du chasseur de monstres littéraires » ou « Liste des directeurs de l’Institut Walrus de 1257 à nos jours : une biographie sélective du docteur Saïemone ». Bref, je venais de fêter mes quarante ans et me voilà revenu l’année du bac.
Je soupirai en me prenant la tête et en torturant mon stylo, entre deux gorgées de genmaïcha brûlant, lorsqu’une voix dans mon dos me fit sursauter :
— Monsieur, tu viens jouer avec moi ?
Je me retournai. Un de nos professeurs de démonologie a déclaré un jour : « Rien n’est plus adorable qu’un rire de bébé. Sauf à deux heures du matin, si vous vivez seul et que vous n’avez pas d’enfants. » De l’autre côté du bureau, près de la porte, se tenait un petit garçon. Il serrait un ours en peluche dans ses bras. Je n’ai pas tout de suite reconnu le fils des voisins parce qu’il me tournait le dos. Comment avait-il pu entrer ? J’avais sans doute laissé la porte ouverte un peu plus tôt dans la soirée, les bras chargés de sacs au retour des courses.
J’aimais bien ce petit. Les parents n’étaient pas de mauvais bougres, mais ne s’occupaient pas de lui autant qu’il en avait besoin. Ils rentraient généralement tard et épuisés de leur travail. Et puis, en bon geek célibataire que je suis, j’avais en matière de consoles de jeux bien plus que ce que le gamin pouvait rêver, et nous étions par la force des choses devenus des amis « par intérêt ».
Donc, mis à part l’heure, sa présence n’avait rien d’anormal. Ce qui m’intriguait plus était qu’il préférait s’adresser à l’angle du mur plutôt qu’à moi.
— Adélard, c’est toi ?
Oui, parce que malgré leur manque de disponibilité parentale, la mère et le père de mon petit voisin avaient des lettres. L’enfant ne réagit pas à son prénom, restant debout comme puni, face au mur en serrant son nounours. Je me fis la réflexion, sur le moment, que c’était la première fois que je le voyais avec une peluche. À neuf ans, Adélard faisait preuve d’une étonnante maturité sur certains points, qualifiant parfois certains représentants de sa génération de « Pokémons qu’évoluent pas ».
Je me dirigeai vers lui. Un son étrange me parvint, une sorte de mélopée entêtante sur trois notes.
— Ça va, bonhomme ? fis-je en posant une main sur son épaule.
Des quelques secondes suivantes ma mémoire ne garda que peu de choses : lumière aveuglante, décharge électrique dans la main, douleurs et contusions dans le dos. Je me retrouvai par terre contre mon bureau. Quelques feuillets de notes et brouillons tombaient en pluie sur moi. L’un d’eux me donna à lire ce mot de manière incongrue : « métempsycose ».
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Walrus Institute 2: Monsters !
HorrorLe Walrus Institute est un lieu aussi redouté que mystérieux : école d'écriture le jour, atelier démoniaque le soir, prison pour auteurs la nuit, personne n'en franchit les portes sans avoir une bonne raison de le faire. Dirigé d'une main de fer (au...