La maison de Nadia abritait de nombreux souvenirs et inspirait toujours le réconfort chaleureux que réserve un grand-parent à ses petits-enfants. Sur le comptoir de l'entrée, près du porte-manteau, une boîte à motif fleuri contenait des lettres de correspondance signées d'un « T » majuscule. L'émotion envahit Thaïs.
En plus d'être sa grand-mère, Nadia avait été sa meilleure amie et l'unique soutient parmi les membres de sa famille, lui offrant sa demeure comme lieu de refuge durant longtemps. Disparaître pour prendre un nouveau départ s'était imposé comme le seul moyen d'en finir avec l'image d'enfant à problèmes qui collait à la peau brune de Thaïs. Le décès brutal de Nadia avait forcé son retour, après trois longues années d'absence, et laissait le regret amer de ne pas avoir profité de sa compagnie jusqu'à la fin.
Quelqu'un frappa à la porte, ramenant Thaïs à la réalité. Sur le perron se présenta une jeune femme aux cheveux blonds et frisés, pareils à ceux d'un angelot. Ses grands yeux noisettes brillaient de curiosité et d'intelligence.
— Bonjour, désolée de te déranger. Je m'appelle Cornelia. Tu dois être la petite fille de Nadia je présume.
Malgré l'habitude, Thaïs appréhenda l'instant où elle comprendrait la vérité.
— Je voulais simplement faire connaissance avec les proches de Nadia, continua la jeune femme. Nous étions de très bonnes amies.
— Ils sont partis après l'enterrement. Ils reviendront dans les prochains mois pour débarrasser la maison si vous voulez les voir.
Cornelia mit alors le doigt sur l'étrange impression qui remuait son instinct. Bien que son apparence montre le contraire, Thaïs s'avérait être un garçon.
Des tresses brunes parsemaient ses cheveux mi-long en batailles et des bijoux ornaient son cou, ses poignets, ses mains et ses chevilles. Un assemblage de patchworks colorés constituait sa robe longue dans un style bohémien, rappelant celui de sa grand-mère. Les traits fin de son visage androgyne participaient à la confusion sur l'identité sexuelle du garçon. Seule sa voix grave le trahissait.
La peur se lisait dans le noir profond de son regard. Un sentiment de révolte anima Cornelia à la pensée des raisons responsables de cette crainte. Elle dissimula sa colère par un sourire compréhensif.
— Mais toi, tu n'es pas de sa famille ?
Embarrassé, il ne répondit pas. Avouer son lien de parenté avec Nadia, c'était avouer son appartenance à une famille qui l'avait rejeté. Comprenant le langage du silence de manière courante, Cornelia n'insista pas plus longtemps.
— C'est quoi ton prénom ?
— Thaïs.
— Enchantée Thaïs. J'habite juste à côté, tu voudrais venir prendre un thé ? J'essaie de le faire avec mes propres plantes et j'aurais besoin d'un avis extérieur.
Cette coutume, identique à celle de sa grand-mère, éveilla l'intérêt du garçon. L'expression avenante de la jeune femme le mis en confiance, il ne sentait de sa part aucun mépris ou dégoût envers lui. Il bredouilla son accord avec timidité et la suivit.
Leur route déboucha sur une prairie à la sortie de la forêt. En son centre, une roulotte branlante paressait sous un vieux pommier en fleur. Thaïs ne cacha pas sa surprise quand Cornelia l'invita à y entrer. L'amour de la blonde pour l'ésotérisme sautait aux yeux : des grigris à perles, plumes ou ficelles pendaient du plafond et des parois en bois ; des pierres précieuses et bougies colorées reposaient sur les meubles ; des symboles peints en blanc recouvraient le sol, sans oublier la présence envahissante de plantes et de fleurs séchées à chaque coin de l'espace confiné.
Une fois l'eau de la bouilloire servie dans leur tasse, Cornelia se laissa tomber sur le pouf rose face à son invité, lui-même assis sur un rondin de bois en guise de tabouret.
— C'est brûlant ! Il vaut mieux attendre un peu avant de le boire, dit-elle en soufflant sur son thé.
Nerveux, Thaïs évitait tout contact visuel, la tête baissée vers ses genoux et le regard fuyant. Son attitude réservée attendrit la jeune femme. Elle engagea la conversation avec douceur :
— Tu as quel âge ?
— Vingt-et-un an. Et vous ?
— J'en ai que vingt-six, alors ne me vouvoie pas. J'ai l'impression d'être vieille !
— Ah, d'accord.
Les intentions obscures de son interlocutrice le déconcertaient. Il ne comprenait pas l'intérêt pour elle de discuter autour d'un thé avec lui.
— Tu préfères que j'utilise quel pronom pour te parler ? demanda-t-elle d'un air naturel.
— « Il », ça me convient.
Cornelia acquiesça en souriant. Elle semblait familière à ce genre de situation. La tension quitta les épaules de Thaïs d'un coup et il releva le menton. Le petit prince venait d'apprivoiser le renard.
— Tu vis ici depuis longtemps ?
— Ça va faire deux ans maintenant, répondit-elle, ravie de l'entendre enfin prendre la parole. Quand j'ai rencontré Nadia, on s'est tout de suite bien entendues. Elle était une sorte de mentor pour moi.
— Un mentor ?
— Ta grand-mère m'a appris beaucoup de choses, tu sais.
Elle mit la main sur un objet posé sur le canapé-lit et le lui tendit, un sourire mystérieux aux lèvres.
— Elle a transcrit son savoir tout au long de sa vie dans ce livre. Je pense qu'il te revient de droit.

VOUS LISEZ
Fleur de Pommier
ParanormalTravesti en femme pour affronter son mal-être, Thaïs a fui sa famille dans l'espoir de s'épanouir. Il n'a gardé aucun contact excepté avec sa grand-mère, Nadia. Le décès de celle-ci force son retour après trois années d'absence. Isolée au fond de l...