Je revenais de l'école, jetais mon cartable dans la vestibule et lançait d'une voix public :
_bonjour, maman !
En français
Elle était là, debout, se d'un pied sur l'autre et me regardant à travers deux boules de tendresse noires : ses yeux. Elle était si menue, si fragile qu'elle eut pu tenir aisément dans mon cartable, entre deux manuels scolaires qui parlent de science et de civilisation._un sandwich, disait mon frère Najib. Tu coupes un pain en deux dans le sens de la longueur et tu mets maman entre les deux tranches. Haha ! Évidemment, serait un peu maigre. Il faudrait y ajouter une plaquette de beurre. Haha!
Il adorait sa mère. Jamais il ne s'est marié. Un mètre quatre-vingts centimètres à douze ans. Deux mètres dix à l'âge adulte. La force et la joie de manger et de rire, de se lever et de se coucher avec le soleil.
_Ecoute,mon fils, me disait ma mère avec reproche. Combien de fois dois-je te répéter de te laver la bouche en rentrant de l'école ?
_Tous les jours, maman. A cette même heure. Sauf le jeudi, le dimanche et les jours fériés. J'y vais, maman.
_Et fais-moi le plaisir d'enlever ces vêtements de paien !
_Oui,maman tout de suite.
_Allez,va,mon petit ! Concluait Najib en faisant claquer ses doigts. Obéis à la création de tes jours .
Elle marchait sur lui, le chassait à coups de torchon de cuisine et il se sauvait,courbant le dos, terrorisé, hurlant de rire.J'allais me laver la bouche avec une pâte dentifrice de sa fabrication. Non pour tuer les microbes. Elle ignorait ce que c'était. Et moi aussi à l'époque. Mais pour chasser les relents de la langue française que j'avais osé employer dans la maison, devant elle. Et j'étais mes vêtements de civilisé, remettais ce qu'elle m'avait tissé et cossu elle-même.