Cauterets

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Cauterets. Cette petite commune des Pyrénées allait nous héberger pendant près d'un mois. Quasi morte en cette période de l'année, la ville était un choix parfait pour Émilie. Sans rien m'annoncer, celle qui devait décider de mon avenir m'abandonna deux jours durant. Elle disparut le soir même de notre arrivée.

Désemparé, dans un premier temps, je pensai d'abord à une sorte d'épreuve dont le but m'échappait. Je m'imaginai ensuite m'enfuir. Même si une partie de moi souhaitait devenir un Choisi, je n'avais aucune réelle idée de ce que cela impliquait. Et puis, Émilie m'avait arraché à ma vie sans rien me demander. Je ne lui appartenais pas, contrairement à ce qu'elle pensait. Je m'imaginai rentrer à la maison, reprendre ma vie et mon job. Aller voir ma mère, incapable de me reconnaître, tous les week-ends. Avec un peu de chance, je finirais comme elle.

C'est ainsi que ma décision de rester fut prise. Quoi qu'il m'arriverait, cela ne pouvait probablement pas être pire, avais-je pensé dans un moment de déprime assez glauque, à la fin de la deuxième journée. Par une étrange synchronicité, Émilie fut de retour quelques minutes plus tard et m'apprit qu'elle était en fait partie à la recherche de nourriture. Celle dont elle seule avait besoin. Lorsque je la questionnai sur le pourquoi d'une si longue absence, elle garda le silence. J'aimais son côté « belle et mystérieuse », mais j'aurais apprécié un peu moins de secret, pour être honnête. Lorsque j'insistai, elle m'envoya promener pour de bon, cette fois. Un simple regard de sa part, avec une canine visible — à dessein je supposai —, suffit à me faire perdre tout confiance en ma capacité à l'obliger à me répondre. Le souvenir de ma tête dans le placoplatre s'imposa à mon esprit et je laissai tomber.

Par la suite, alors que nous marchions à pas vifs vers le lac, elle m'expliqua la nature des Vampires et des Choisis.

— Être Vampire est une maladie, commença-t-elle. Une affliction génétique transmissible par le sang, le don d'organe ou, plus rarement, par rapport sexuel.

J'écoutai avec attention. Depuis près d'un an que je l'avais croisée, un morceau du voile se levait enfin sur la race la plus mythique que la terre ait portée. Et je fus déçu par cette révélation. Une maladie ?

— Eh oui ! confirma-t-elle avec un sourire. Un Vampire n'a rien de l'âme damnée que nous vante la littérature depuis si longtemps. Je ne suis pas experte en la matière, mais il semble qu'une simple paire de gènes soit la cause de tous ces phénomènes : hypersensibilité à la lumière ultraviolette, régénérescence quasi infinie des tissus, force supérieure et dépendance absolue au sang.

— Et l'insensibilité ? demandai-je, me souvenant de mes lectures.

— Nous sommes normalement sensibles, au début du moins. Si tu nous rejoins un jour, tu t'en rendras compte. Nous autres sommes contaminés par un Vampire ou un de ses enfants. Nos capacités sont inférieures, semble-t-il, mais plus nous vieillissons et plus nous devenons forts.

— Vous êtes immortels ?

— Nenni ! Nous sommes difficiles à abattre, mais nous pouvons mourir. Nos organes se régénèrent facilement et la plupart nous sont plus ou moins inutiles. Seuls le cerveau, le cœur et les poumons sont vitaux. Pour quitter le monde des vivants, il nous faudrait donc nous défaire de l'un des trois.

Je n'en sus pas plus, ce jour-là. Elle me traîna jusqu'à l'étendue d'eau et s'assit sur le rivage, le regard en direction du centre du lac, comme surveillant l'arrivée imminente d'un monstre marin. Elle resta ainsi deux heures durant, sans bouger. Impatient dans un premier temps, je jetai des cailloux, tentant de battre mon record de ricochets. Puis j'entamai le tour du lac. Après un peu moins d'une heure à marcher dans le calme, observant de temps en temps un petit bateau de pêche, je me décidai enfin à m'installer, tout comme Émilie. Pour autant, compter les vaguelettes n'avait rien d'attrayant et je me perdis dans la contemplation de la jeune centenaire à quelques mètres de moi. Vieillissait-elle au ralenti depuis toutes ces années, ou était-elle demeurée telle qu'elle était à l'époque ?

— Nous ne vieillissons pas, me répondit-elle quand, après qu'elle eut repris vie, je lui posai la question. J'aurai toujours vingt-trois ans, ajouta-t-elle avec un sourire à tomber par terre.

Elle se leva, me tendit la main, et je la touchai sans peur pour la première fois. Sa peau n'était pas aussi douce que je l'espérais et sa poigne bien plus puissante que la mienne. Pourtant, ce premier contact resta gravé à tout jamais dans mon esprit comme un moment agréable.

Elle me lâcha cependant puis nous quittâmes le lac. Le soleil déclinait à l'horizon. J'avais appris beaucoup de choses et ma curiosité était apaisée, mais j'avais à présent envie de plus. Elle m'avait annoncé qu'elle ferait de moi l'un des leurs. Il était temps, pensai-je...

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant