J'aurais pu m'appliquer

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Comment oublier ? Impossible. Ton corps étendu dans la salle de bain, nu, en sang, tes yeux, ton regard qui me fixe...impossible. Je ne pourrais jamais oublier. Pourtant j'essaie, crois-moi, cela va faire maintenant deux heures que je suis sous mon pommeau de douche, les yeux fermés, en priant pour que tu disparaisses de mes pensées, emporté par l'eau chaude qui dégouline sur mon corps. Un filet d'eau glisse dans ma bouche ; je déglutis. J'avais soif. Je chantonne l'air de Tous des cons de Zoey, en symbiose avec mon enceinte : j'aime bien cette chanson, car elle illustre bien ma pensée sur les gens. On est tous des cons, point. Je tourne la tête dans ta direction : tu n'as pas bougé. Toujours allongé par terre, les membres désarticulés : je t'ai tourné de manière à ne plus croiser ton regard qui me glaçait. Tu ne me regardais jamais comme ça ; où sont tes yeux doux et rieurs ? Depuis tout à l'heure, ce sont des yeux hagards et injectés de sang qui me fixe, je ne supportais pas. Je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé. Je ne sais pas quoi faire. Enfin, si, je vais déjà couper l'eau qui continue de couler et me sécher, je ne tiens pas à payer le double de ma facture. J'ouvre les deux battants de ma douche et t'enjambe pour pouvoir accéder à ma serviette. Tu dois avoir froid...je te couvre de la tienne. Je pleure. Mes mains tremblent : comment est-ce possible ? Je m'assieds près de toi, prends ta main froide pour la réchauffer un peu. Tu saignes : de partout, d'ailleurs, je ne sais pas très bien où est la plaie. Tout ce que je sais, c'est le ménage qui m'attend quand tu seras parti. C'est vrai que je n'y avais pas pensé. Ça va me faire bizarre, de vivre seule. Le matin je vais me lever, et je suis sûre que les premiers jours je t'attendrais dans la cuisine, m'attendant à ce que tu viennes te faire ton café, comme à l'accoutumée. Puis après je vais certainement comprendre, intégrer le fait que tu n'es plus et je vais recommencer à vivre tranquillement. Du moins je l'espère. Un frisson. Crier ne te ramènera pas à la vie de toute façon ; ça me fatiguera juste les cordes vocales alors, pourquoi crier ? Je me penche pour t'embrasser une dernière fois. Je tourne ton visage vers moi, ton si beau visage. Je dépose tout doucement mon baiser sur tes lèvres, le seul endroit encore regardable quoiqu'un peu violacées. Je grimace : tu ne ressembles plus à rien maintenant. C'est vraiment dommage. Je me relève. Oui, c'est vraiment fâcheux, tu dois être le quatrième maintenant. Il faudrait que je reprenne mes consultations. Je me dirige vers la porte et me tourne une dernière fois vers toi. Je me sens mal à l'aise de te laisser seul ici pour cette nuit, tu n'aimais jamais la solitude et encore moins le noir. Tu te blottissais toujours près de moi, j'aimais bien, ça me rassurait. Je suis navrée, vraiment, ça n'aurait pas dû se reproduire, j'étais censée être guérie. J'éteins la lumière, ferme la porte ; je me demande ce qu'il reste dans le frigo, mais à mon avis pas grand-chose...tant pis, je vais devoir me contenter d'un reste de soupe. Franchement, ça m'embête de manger seule ce soir. Je ne sais pas pourquoi mais l'image de ton cadavre, ou du moins de ce qu'il en reste, me traverse l'esprit. Je soupire, agacée. Franchement, j'aurais pu m'appliquer. 

J'aurais dû m'appliquerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant