Sonné, mon esprit se reconnecte lentement. Mes mains et mes coudes sont égratignés, et mon épaule va me faire mal pendant un bon moment. Mais je suis rentré. Cette nouvelle ouverture dans la pièce permet à la lumière de s'engouffrer davantage, suffisamment pour inspecter les lieux. À première vue, ce grand garage ressemble à tous les autres. Équipements de jardinage, étagères pleines de cartons et boîtes en plastique, un petit établi avec les outils. Il y a également une paire de roues de voiture, un bidon d'huile et un immense vide au centre de la pièce, jadis l'emplacement d'un véhicule. J'aperçois également deux VTT posés l'un contre l'autre sur le mur près de la porte de garage. De nos jours, le vélo paraît être une très bonne alternative comme moyen de transport. Silencieux, mécanique simple, pas de carburant et passe presque partout. On en voyait régulièrement durant le Grand Exode, suffisamment pour vite comprendre qu'ils étaient une fausse bonne idée. Contrairement aux véhicules motorisés, ils ne permettent pas le transport de grosses charges, et ils ne sont pas très efficaces lorsqu'il s'agit de prendre la fuite, sans parler d'une protection inexistante. Quant aux piétons, ils compensent leur lenteur par une meilleure appréhension de leur environnement. Ils peuvent apercevoir un détail leur permettant de déjouer une embuscade ou de trouver des ressources et des lieux qu'ils n'auraient pas vus à plus grande vitesse. Il ne faut pas sous-estimer la grande mobilité qu'offre une paire de jambes, aucun terrain n'est impraticable debout sur ses pieds.
En me rapprochant des vélos, je me rends compte que leurs pneus sont à plat et qu'ils n'ont plus de chaînes d'entraînement. J'en profite pour regarder la porte de garage sectionnelle, en PVC elle aussi, imitation bois cette fois, le luxe. Elle n'est pas motorisée et s'ouvre verticalement en tirant sur les poignées pour la faire coulisser dans ses rails. Il y a un important jour en dessous, assez pour y passer un doigt. Non, un poing en fait.
Euh... Sérieusement ?!
En passant mes deux mains en dessous, j'arrive sans mal à ouvrir la porte jusqu'à la taille. L'instant serait comique dans d'autres circonstances, mais à voir les empreintes récentes de roues sur le sol devant la maison j'ai maintenant la conviction que l'endroit n'est pas aussi abandonné qu'il n'y paraît. Je referme la porte et me retourne pour inspecter la pièce plus en détail. Sur l'établi il y a plusieurs emplacements d'outils vides, un peu de terre sèche traîne sur le sol, et sur les étagères la poussière trahit la présence de boîtes déplacées récemment. Faut pas s'attarder ici.
Il y a une porte, certainement la cave ou la buanderie, et un escalier qui mène à l'étage. Je vais d'abord fouiller le bas avant de monter. Je m'approche de la porte et l'ouvre. La pièce est sombre, sans fenêtre. Vite, ma lampe frontale.
J'y crois pas...
C'est un cagibi avec des étagères où sont entreposées des provisions. Là, sous mes yeux, il y a des conserves de thon, de haricots, des fruits au sirop et divers plats tout préparés. Il y a également des champignons qui poussent dans des jardinières et des pots en tout genre. De l'autre côté, des boîtes débordent de médicaments, de bandages et de pansements. Il y a aussi des piles, des ampoules, du savon, quelques bouteilles de sodas et d'alcools, et même des cigarettes.
C'est l'heure des courses.
Alors que je commence à remplir mon sac, l'euphorie me gagne. Je n'ai plus mal nulle part, je ne ressens plus la fatigue, ni plus aucun souci, je suis un enfant enfermé dans un magasin de jouets. Comme je ne pourrai pas tout emporter, je me permets de faire la fine bouche dans mes choix.
Je ne peux m'empêcher de penser à hier, à avant-hier, et encore avant. Alors que je viens de détruire la vie de deux enfants, que j'ai tué mon compagnon de survie de longue date et que j'ai dépouillé je ne sais plus combien de pauvres gens sur les routes, voilà que le destin décide malgré tout de me donner un coup de pouce, et pas qu'un peu. Je n'ai jamais cru en une force surnaturelle consciente, que ce soit un ou plusieurs dieux ou la nature elle-même. Pour moi, la vie a toujours été régie par le hasard, une succession de chances et malchances qui frappe aléatoirement tout un chacun. Cette éternelle injustice à la base de tant d'inégalités atteint aujourd'hui son paroxysme.
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Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1
Science FictionAlors que la Troisième Guerre mondiale fait rage, le monde bascule dans l'escalade nucléaire le 21 septembre 2037, « The Enola Day ». Le conflit dure quelques mois, suffisamment longtemps pour défigurer la planète. En Europe, un immense territoire s...