Chapitre 5.2 - Car l'esprit affuté sait se dissimuler

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Deux hommes s'approchent de nous, le pas pressé, inquiets.

— Que s'est-il passé ?

La voix fébrile souligne l'urgence de la situation. Ce n'est pas un incident isolé qu'ils vivent, c'est un véritable drame.

Pas de réponse. Personne n'ose endosser le rôle du colporteur de mauvaises nouvelles. Le groupe et les deux hommes se contentent de former une sorte d'ovale au milieu de la cour. Les mines sont basses. Je me retrouve entre Klaus et le grand balèze qui regarde ses chaussures, tout comme Tobias, tandis que Nicklas tente de se faire oublier en examinant son équipement. Le silence est pesant, je baisse les yeux en signe de soumission. Vu l'ambiance, j'ai tout intérêt à mettre ma fierté de côté pour le moment, l'occasion de révéler la vérité se présentera bien assez tôt.

— Alors ? Eirtzail moi aleuss.

C'est Klaus qui se décide enfin à lâcher le morceau. Tu m'étonnes, il a tout intérêt à faire entendre SA version des faits. Je ne comprends pas toute l'histoire, qu'il débite à toute vitesse, seulement quelques mots et bribes de phrases. Ça parle de « fouille », « d'hôpital », puis de « Lisbeth et lui qui tombent sur une surprise ». Ben voyons, une surprise. Fumier. Puis il me prend fermement par le bras et me fait avancer d'un pas avant de me forcer à m'agenouiller au milieu de tous. Sous le poids des sacs, mes genoux s'écrasent violemment par terre, me faisant pousser un râle étouffé à travers le bâillon. Leurs regards me fusillent sur place. Quelques insultes à voix basse fusent. Tobias, lui, veut juste qu'on me tue tout de suite. Il faut que je reste calme et docile, ne surtout pas leur donner le moindre prétexte d'assouvir leur vengeance. Après tout ce que je viens de voir de leur communauté, il est clair qu'ils font partie de ceux qui cherchent à maintenir la civilisation à flot. Avec eux je peux espérer un semblant de procès.

Klaus reprend ses explications. Cette fois son discours est à base de « meurtre », de « famille », et toujours de « Lisbeth ». Il est aussi question d'un certain « Rudolph ».

— ... ce problème doit ce soir gueuleust vèrdeunn.

Ma parole, c'est un vrai plaidoyer qu'il vient de nous faire. Je n'aurais peut-être pas le jugement équitable que j'attends.

Un long silence s'installe. Il semblerait que la décision revienne à l'un des deux hommes qui digèrent l'histoire. Je relève la tête pour tenter d'identifier lequel je dois convaincre de mon innocence. Ils me regardent durement, droit dans les yeux. Puis l'un d'eux se détourne, comme pour réfléchir. Tout le poids du monde semble peser sur ses épaules. C'est lui. Celui avec le bonnet d'où dépassent de longs cheveux blonds frisés, c'est lui qui décide, c'est celui-là qu'il me faut convaincre de ne pas commettre une erreur judiciaire. Pendant qu'il réfléchit, Klaus et le grand balèze en profitent pour m'enlever les deux sacs, un vrai soulagement. Je me sens tellement léger que j'ai l'impression de reprendre le contrôle de mon corps. C'est le moment, il faut que je me manifeste. Le regard de leur chef croise à nouveau le mien. Les yeux grands ouverts, je pousse plusieurs cris étouffés à travers le bâillon tout en agitant la tête dans la direction de Klaus. Oui ! J'ai capté son attention. Je continue de plus belle. Il s'avance. Les autres sont également intrigués. Je me lève pour me...

Flash blanc ! Puis des étoiles. Une monumentale droite. Je m'écroule lamentablement sur le sol, puis reçois un violent coup en plein ventre ! J'ai le souffle coupé.

Un deuxième coup, suivi par des insultes.

Je n'arrive plus à respirer. Cette fois, ma sentence est tombée.

— Emmenez-le dans la lagueurraoum.

— Pour quoi faire ?

— Discute pas, Klaus ! Dass vèrdeunn nous demain zéheunn ! Némeunn lui den Knebel ab.

Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant