Préface [Le comité éditorial des artistes fous]

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Voyez la bête.

Elle se prend en bloc. Elle ne se réduit pas. Elle renvoie une altérité frontale : aspect, masse corporelle, odeur, gestes, et regard. Contacts difficiles, parfois de curiosité et d’attention, d’échanges véritables, mais aussi souvent d’appréhension, d’hostilité, de fuite, d’évitement.

Et pourtant : au-delà des divergences des deux paradigmes, les animaux nous sont si proches. Nous les rêvons, encore et encore, dans toute l’étendue de notre imaginaire. Nous nous projetons massivement en eux, nous les barbouillons de notre psyché, en permanence.

C’est parce que dans l’espace imaginaire humain ils permettent de renouer avec la part primordiale, fondamentale en nous. Chez l’enfant, notamment, il y a cette adhésion immédiate, spontanée, irrépressible, à l’animal, à ce « grand frère ». Ouvrez n’importe quel livre illustré de littérature de jeunesse : le héros sera immanquablement figuré qui sous les traits d’un ourson, qui sous ceux d’un petit chien ou d’un oiseau (toute entrée en littérature se fait ainsi par le truchement d’un animal). Allez au zoo, et contemplez les enfants qui ont une connivence immédiate avec ces drôles de bestioles. La figure de l’animal se situe dans les sables du développement humain, en tant qu’étape nécessaire dans l’élaboration du soi. D’où le rôle central, viscéral, de passeur d’imaginaire joué par les bêtes. Symboles qui cachent et qui révèlent. Médiums intercédant entre l’en-bas et l’en-haut. Totems. Mais totems dangereux : avec le risque, par moments, de l’éclair bestial qui s’invite dans l’humain pour le faire exploser de l’intérieur, le distordre, lui faire lécher ses propres racines, lui présenter en miroir son point nodal, sa condition. La Bête se présente à la fois comme retour à l’innocence, à l’enfance, à l’origine, à la conscience immédiate du monde... et à la fois comme destruction, part subversive et immense, comme perte totale de contrôle, dévoration et anéantissement.

Autant de lignes de tensions paradoxales qui sont revisitées, contournées, dépassées, remodelées dans chaque nouvelle de ce recueil.

Explorations : de la part sauvage et odorante derrière la civilisation (Pffugs), de la projection dans l’animal (Parasite, Cobaye #27), de l’hybridation (τρ, L’ascension des suicidés, La condition inhumaine, Pluviôse). Nous avons tous fait ici un rêve d’animal : et nous avons animé des chimères mythologiques (Un arrière-goût d’éternité, Manger les rêves, La bête noire, Ce singe qui n’ira pas au paradis), des chimères modernes (Le deuxième événement), des mythes réactivés (Jonas, La dépression du chat) ou inventés (La mélodie des bois, Notre-Dame des opossums).

Tous ces récits sont des mains tendues, des invitations adressées à l’animal, pour qu’il revienne, revive en nous, nous repeuple, tout fourrure et tout crocs, avec son manteau de danger et d’ivresse.

Pour qu’enfin on rende les catégories poreuses. Pour qu’enfin les regards se croisent et se comprennent.

Et pour que nous puissions renouer avec ce sourire, refoulé en nous, qui luit dans le noir : notre côté profondément, indécrottablement sale bête.

Le comité éditorial

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