L'écho du silence (Nouvelles)

Le couloir du jugement

« L'accusé est condamné à traverser le couloir du jugement. »

Ces quelques mots ont résonné à mes oreilles comme une injustice. Trois heures, c'est le temps qu'aura duré mon procès. Trois heures pendant lesquelles je me suis battu d'arrache-pied pour prouver mon innocence, et tout ça pour quoi ? Je pensais pourtant ne pas m'être trop mal défendu, mais le juge n'est visiblement pas de cet avis. Pour une raison que j'ignore, il est intimement convaincu que je suis coupable et ce, même s'il n'a aucune preuve tangible pour appuyer son postulat. Malheureusement, à voir les regards qu'ils me jettent, la majorité des jurés semble d'accord avec lui.

J'ai toujours détesté ne pas être cru quand je disais la vérité, sauf qu'aujourd'hui on ne parle pas de se faire punir par un maître d'école qui vous aurait soi-disant aperçu en train de tricher. Là, tout le monde est persuadé que c'est moi qui ai battu à mort Nathalie Lewinsky et ce faux jugement risque de me coûter la vie...

« Lève-toi. »

Je m'exécute et quitte la chaise bancale sur laquelle j'étais assis depuis le début de la séance. Autour de moi, je sens que ça s'agite. Le juge et les jurés m'imitent tandis qu'un policier se poste derrière moi pour ouvrir mes menottes et me libérer enfin les poignets. Tout en les frottant pour apaiser ma douleur, je jette un regard en coin vers les caméras pointées sur moi. Je me demande combien de téléspectateurs sont en train de m'observer en ce moment-même, combien se disent que je n'ai que ce que je mérite et combien sont allés se chercher une bière en prévision DU moment que tout le monde attend. Sans doute pas tant que ça... Si j'en crois l'horloge accrochée derrière l'un des cameramen, il est maintenant deux heures du matin. Un jeudi soir, je peux être sûr de faire l'une des pires audiences depuis la création de cette maudite chaîne et du système qui va avec. Après tout, mon cas est des plus banals, rien à voir avec ceux qui passent le midi ou le soir en prime time.

Il est hallucinant de constater le nombre de personnes devant cette émission et ce, même si elle est diffusée sans discontinuer toute la journée et toute la nuit. Les gens regardent plus ce spectacle sordide que les informations, c'est dire... Je me suis moi-même surpris à y jeter un œil de temps en temps avant de vite me raviser, honteux. Évidemment, les producteurs s'arrangent pour que les affaires retransmises à la télé soient celles qui ont le plus de chances de déboucher sur « le couloir du jugement »... Ça fait partie du jeu. J'aurais dû m'y attendre en voyant débarquer l'équipe de télévision. J'ai été trop naïf. Depuis le début, mon sort était scellé.

Escorté de deux flics, je me dirige à présent vers la grande porte au fond du tribunal. Les jurés m'ont précédé, je suppose qu'ils sont en train de se mettre en place. Cinq... Au début de l'audience, j'étais heureux de voir qu'il y en avait si peu. Maintenant que la sentence a été délivrée, ce nombre est une montagne qu'il me paraît impossible de gravir.

Le couloir du jugement... C'est la première fois que je le vois. Je n'ai jamais poussé le vice jusqu'à regarder l'émission dans son intégralité. Et jamais, au grand jamais, je n'aurais imaginé m'y retrouver un jour en chair et en os. Comme son nom l'indique, il s'agit d'un banal couloir de trois mètres de largeur environ. Sur ma droite, une grande baie vitrée a entièrement remplacé le mur. Derrière cette vitre, des caméras sur pied sont disposées tous les mètres, prêtes à filmer chaque seconde de ma traversée. Je me demande bien quelle tête je fais en ce moment. Si j'avais une once de courage, je n'hésiterais pas à lancer un doigt d'honneur à l'attention de ces milliers de voyeurs venus prendre du plaisir à me regarder mourir en direct. Bon sang... Ce n'est pas du tout comme ça que je m'étais imaginé partir ! J'aurais espéré quitter ce monde seul, endormi dans mon lit, après avoir bien vécu... Pas à quarante ans devant toute la France !