Mon sweat à capuche bleu

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Mon sweat à capuche bleu...

Quand j'avais 9 ans, il y a de cela une bonne vingtaine d'années, j'avais un « défaut », le mot est un peu fort, particulier aux enfants de cet âge. Tout enfant, quand il reçoit un nouveau cadeau; jouet, habit, livre... se presse souvent d'aller le montrer, en se pavanant, aux autres. À ce jeu, j'étais le plus fervent. À chaque présent que je recevais, j'accourais dès le lendemain, parfois à l'insu de mes parents, pour le montrer à mes camarades. C'était une joie que de voir l'envie pétiller dans leurs yeux pendant que moi je jubilais.  Je n'étais pas toujours celui qui faisait les jaloux. Dès fois, assez souvent même, je faisais partie du camp des envieux. Alors j'attendais sagement mon tour, l'occasion d'avoir quelque chose à montrer moi aussi. Et cette occasion ne se fit pas prier.

Un jour, un vendredi, ma mère rentra à la maison avec un joli sweat à capuche bleu ciel. Cette couleur que semble arborer le ciel a toujours été ma préférée. Il m'allait comme un gant. J'étais aux anges. Mais ma joie fut de courte durée. « C'est un sweat que tu pourras porter les jours de pluie, sur ton uniforme. Il est imperméable. » m'avait-elle lâché sur un ton moqueur, comme pour me calmer. Zut alors! J'allais devoir attendre qu'il pleuve. À l'époque, je ne maîtrisais rien encore de la météo. La télé pour moi se résumait aux dessins animés, et aux films de cow-boy. Du coup je ne savais pas jusqu'où j'allais devoir patienter. Et vu l'épaisseur de mon précieux cadeau, le glisser dans mon sac sans qu'on s'en aperçoive pour aller le montrer aux autres était une mission quasi incertaine. J'ai dû patienter près d'un mois. Quand un matin de mai, la pluie vint enfin. Il plut à verse. Dehors c'était impraticable, mais j'étais fou de joie. Ma mère le remarqua, et ça l'intriguait: « Pourquoi es-tu si content? Tu ne veux pas aller à l'école ce matin? » me demanda-t-elle? Je me rappelle encore de ma réponse ce jour-là:
- Mais si! Bien au contraire. J'ai hâte qu'on m'y emmène.
- Et la pluie qui ne s'arrête pas?
- Ça ne fait rien! J'ai mon sweat à capuche pour me protéger.
- T'as pensé aux autres? tes camarades, ceux qui n'auront pas de quoi se protéger sous cette abondante pluie. Pas de parapluie, ni de sweat...
- Ils n'ont qu'à acheter le leur. Ce n'est pas moi qui suis responsable d'eux.

Ma mère se contenta de sourire. Elle savait que j'étais encore innocent. Un égoïste mais innocent. Elle m'habilla, prit son parapluie, et on a cheminé à pied vers l'école. Trop content de parader enfin dans mon beau sweat bleu, je ne faisais attention ni à la boue, ni aux autos qui passaient, et c'est à ce moment que j'ai appris la leçon de ma vie.

En effet, j'étais  tout proche d'arriver à l'école, je voyais d'ailleurs déjà la barrière, quand une auto passa à toute vitesse, pataugeant dans une flaque d'eau qui me salit de la tête au pied. C'était l'auto du parent d'un camarade, qui se hâtait de le déposer d'abord,  pour se rendre ensuite  à son bureau. Mon beau sweat à capuche n'était plus bleu. En un instant j'étais semblable à un éboueur sur son lieu de travail, le caniveau. Tout triste, je regardai ma mère sans pouvoir placer un mot. Elle avait compris mon désarroi, mais elle me fit quand même la leçon. « Vois-tu mon fils, c'est la vie qui t'apprend à être plus soucieux du sort des autres. En revêtant ton sweat ce matin, tu ne t'es pas soucié des autres élèves qui eux risquent d'arriver tout trempés. De même, ce chauffeur, confortablement à l'abri dans son auto, n'a pas pensé à nous qui sommes des piétons. Ainsi va la vie. Quand chacun se préoccupe de son bien être, sans penser à son entourage, les autres finissent par en payer le prix. »

Ce jour-là je n'eus même pas la chance de montrer aux autres mon sweat, car trop sale, ma mère me l'enleva à l'entrée de l'école, pour aller le rincer une fois à la maison. Sinon ça risquait de tâcher.  Il n'eut pas de parade ce jour-là, mais j'ai appris l'une des plus grandes leçons de ma jeune vie. Penser à soi tout en pensant aux autres, c'est le meilleur moyen de s'assurer d'avoir un bien-être collectif.

LJCJ.

Par-delà ciel et mirageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant