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Assis sur une des tables en bois poussant par-ci par-là sur la pelouse du campus universitaire, profitant d’un grand ciel bleu après des jours et des jours de pluie, j’observais. Bravant le froid mordant d’un hiver en avance, rendu léthargique par la digestion qui se déroulait dans mon estomac, j’observais. Pas autour de moi, non. Devant. Un peu sur la droite, pour être plus précis. Ce qui attirait mon regard depuis déjà quelques minutes, c’était une autre étudiante, un peu plus loin, installée seule à une table identique à la mienne. Elle était face à moi, mais elle ne m’avait pas remarqué. Et, à ce que je pouvais voir, personne ne l’avait remarquée, elle. Pourtant, il y avait de quoi : ses longs cheveux châtains encadraient un visage fin, des pommettes hautes, et un adorable nez surmonté de larges lunettes à monture noire. C’était peut-être sa discrétion, qui la rendait invisible aux yeux de tous. Ou peut-être cette façon qu’elle avait de se détacher gracieusement du monde : plongée dans une profonde réflexion, elle écrivait, raturait, écrivait encore.
Même si les feuilles de papier menaçaient régulièrement de s’envoler, elle continuait de délaisser son ordinateur portable, posé un peu plus loin. Des écouteurs vissés sur les oreilles, les sourcils légèrement froncés par la concentration. Complètement absorbée, semblant faire abstraction de tout ce qui l’entourait – y compris le froid qui ne semblait pas avoir la moindre prise sur elle –, elle travaillait, régulièrement, méthodiquement, seule, telle une machine.

Puis, la nature elle-même avait décidé de la forcer à regarder un peu autour d’elle. Un papillon, qui voletait déjà autour de sa table depuis un moment, s’était délicatement posé sur la pochette de son ordinateur. Même de loin, je voyais combien il était magnifique : le contour de ses ailes, d’un noir profond, contrastait avec la vivacité de ses couleurs, sublime mélange de blanc éclatant et de rouge flamboyant. Si bien que, même la jeune étudiante, pourtant si concentrée, n’avait pas pu l’ignorer ; elle s’était interrompue dans son travail, fixant avec émerveillement le lépidoptère, qui avait survécu par un quelconque miracle à la chute brutale des températures. Un sourire, grand, large, franc, s’était alors dessiné sur les lèvres de la jeune étudiante. Et c’est à cet instant précis, face à ce sourire qui n’était destiné à personne, que j’avais compris que j’étais perdu.

L'effet Papillon 🦋Où les histoires vivent. Découvrez maintenant