Prendre son envol

Falaises de Moher

Voilà déjà quatre jours que je vis à ce rythme, balade, visites, dessins. Pour ce dernier jour de l'année, je monte dans un bus direction les falaises de Moher. J'ai besoin de grandiose pour finir cette année en beauté. Je passe le trajet à discuter avec une petite grand-mère assise à côté de moi. Le plus étrange est la phrase qu'elle me dit avant de descendre du bus :

- Ne perdez pas de temps ma petite, la vie est trop courte. Il faut vivre sans regrets. Regardez-moi, au crépuscule de ma vie, je n'ai que des regrets, ne terminez pas comme moi, vivez.

Ce sont sur ces bonnes paroles que je découvre le spectacle qui s'offre à moi. Dans une eau bleue noire agitée plongent d'immenses falaises à pic. La roche se découpe d'une netteté stupéfiante. Le contraste des couleurs est saisissant, d'autant plus qu'un mince rayon de soleil filtre à travers la masse de nuages qui surplombent nos têtes, éclairant l'herbe vert tendre de la plaine.

Le ressac des vagues contre la roche est le seul bruit qui parvient à mes oreilles. La mer balaye et lèche la roche dans un mouvement régulier. De temps à autre, une vague plus grosse que les autres vient exploser et répandre des milliers de gouttelettes d'eau. Je me rends soudain compte que j'ai perdu la flamme de vie qui brulait en moi. J'ai réussi cette semaine à provoquer une étincelle, mais elle me semble prête à s'éteindre définitivement au moindre souffle de vent. Alors que je ne demande qu'à ce qu'elle s'embrase.

Mais alors quoi ? Vais-je mettre le feu et brûler tout ce qui m'entoure ? Causant des dommages irrémédiables, laissant une terre sinistrée ? Je suis tellement perdue, je me sens tellement minuscule, insignifiante, submergée par des sentiments trop forts pour moi, je pourrais me noyer, ne jamais réapparaitre. Une larme coule sur ma joue glacée, me brûlant la peau de sa chaleur avant de refroidir elle aussi.

Je réalise qu'avant de me positionner côté professionnel ou même sentimental, il faut que j'apprenne à me découvrir. Savoir déjà qui est la vraie Amy avant de donner aux autres. Mais qui est la vraie Amy ? Je suis incapable de répondre à cette question. J'ai peut-être une petite idée, peut être oui, là au fond de moi. Peut-être est-ce ma vraie personnalité qui ne demande qu'à s'échapper hors de moi, me provoquant ainsi des nausées et hauts le cœur ? Parce que je ne peux plus la contenir à l'intérieur ?

C'est le dernier jour de l'année, oui ce jour où l'on se dit que tout est permis, le renouveau est proche. Il y a un an en arrière, je n'aurai jamais pensé me retrouver dans cette situation aujourd'hui. J'étais bien dans ma vie, je ne me posais pas de questions. Vraiment ? Vraiment Amy ? Seulement, le chemin à parcourir me semble une montagne à gravir, je ne sais pas si j'en aurai la force.

Je connais la sensation de libération que l'on ressent lorsqu'on a pris une décision. Il ne reste plus qu'à suivre le chemin choisi. Mais comment la prendre ? Et surtout ensuite, comment rester dans le bon chemin et ne pas retourner dans ses précédentes erreurs ? Ce n'est pas le tout de décider, il faut persévérer également. Et bien sûr que cela demande des efforts. Un effort qui me semble bien trop grand pour le moment.

Pour l'heure, je remonte dans le bus qui me ramène à l'hôtel. J'ai décidé de passer la soirée de la Saint Sylvestre au pub. Nombreuses sont les animations ce soir, je n'aurai qu'à me balader et entrer là où l'ambiance me paraitra la plus sympa. J'ai envie de m'amuser, de lâcher prise. Certains diraient que c'est triste de finir l'année seule, mais je ne saurais trouver de meilleure compagnie que moi-même.

Je n'ai pas réellement emmené d'affaires de fête me dis-je, quelques heures plus tard, face à la multitude de vêtements étalés sur mon lit. J'opte finalement pour un tee-shirt noir tout simple mais dont les épaules sont couvertes de paillettes noires également et un jean slim noir. Je lâche mes cheveux et me farde les yeux de noir pailleté. Je me fais un regard très charbonneux, autant dire que l'on ne voit que le bleu glacial de mes grands yeux ressortir. Ma mère dirait certainement que ça fait mauvais genre, je dirais que je n'ai que vingt-huit ans et envie de faire la fête.