Un arrière-goût d'éternité [Morgane Caussarieu]

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 Après avoir revisité le mythe du vampire dans son premier roman (Dans les veines, paru aux Éditions Mnémos en 2012), Morgane Caussarieu nous entraîne ici au fond de l’Écosse à la poursuite d’un être ancestral : une légende tapie au fond de l’obscurité.

Un arrière-goût d'éternité [Morgane Caussarieu]

 « J’y crois pas que j’suis avec toi sur ce lac pourri alors qu’on pourrait être au pub, au chaud, une bonne petite bière à la main. On se les caille sérieux, mec. »

Jimmy serra ses bras autour de son torse. L’imperméable qu’il avait enfilé perdait la bataille contre le vent humide qui s’infiltrait dans le col et les manches, s’insinuant sur sa peau comme un petit serpent glacé. La barque fendait les eaux et le brouillard, laissant derrière elle un sillon flou. On ne voyait déjà plus les lumières du village, qui s’étaient dissoutes petit à petit dans les volutes de fumée.

Ed ramait avec une cadence régulière, produisant un bruit de clapotis à chaque mouvement.

« Y avait match ce soir, continua Jimmy.

— On va voir quelque chose de bien plus beau que le match, j’te promets.

— Ça m’étonnerait. Ça va être un putain de match... »

Le brouillard se faisait de plus en plus dense, Jimmy sentait presque son poids sur sa peau, le recouvrant comme le ferait un linceul. Leur seul éclairage était celui de la lune, fantomatique et intermittent, qui disparaissait parfois derrière le rideau brumeux.

« Tu crois pas que ton vieux t’a raconté des conneries ? Y a rien dans ce lac, à part des saloperies de crabes. » fit Jimmy.

Soudain, un bruit d’eau devant eux, le bruit d’un corps qui rentre violemment en contact avec la surface noire du lac. Jimmy sursauta, observant nerveusement l’obscurité. Il attrapa le harpon et le filet au fond de la barque.

« Merde, c’était quoi ?

— T’inquiète, c’est qu’un gros poisson, le rassura Ed.

— Gros comment ?

— J’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que c’était pas ce que tu crois que c’était.

— Et pourquoi ça ?

— Parce qu’on l’a pas encore invoquée. Ça viendra pas si on l’invoque pas.

— L’invoquer ? Putain Ed, parfois j’me dis que t’es vraiment qu’un pauvre taré. J’vois pas pourquoi je continue de te suivre dans tes délires à la con.

— Parce que t’es mon meilleur pote depuis la primaire, voilà pourquoi. Et que tu me connais. Et que tu sais que quand j’entreprends un truc, c’est toujours du sérieux, c’est parce que y a un profit à réaliser derrière. Et ce coup-là, Jimmy, j’te jure qu’on va en profiter un maximum.

— Si tu le dis, mec... si tu le dis. C’est tellement tiré par les cheveux ton histoire. Je suis même pas certain de te croire. »

Jimmy renifla, ravalant la goutte qui pendait à l’anneau de son nez, puis il rabattit la capuche sur son crâne rasé.

«  T’as bien vu mon grand-père, non ? demanda Ed.

— Ouais je l’ai vu, mais ça prouve rien.

— Tu lui donnais quel âge, à mon grand-père, quand il est mort ?

— J’sais pas, j’imagine qu’y a un piège si tu poses la question. Sûrement qu’il était plus vieux qu’il en avait l’air... J’dirais soixante-dix ans, même s’il en faisait cinquante. Il avait grave la forme, avant qu’il se fasse déchiqueter par cette hélice de bateau.

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