Jonas [Southeast Jones]

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 Dans l’espace comme sur Terre, il existe d’étonnantes et dangereuses créatures. Southeast Jones, second vice-président de notre association, nous entraîne ici à la rencontre d’un explorateur de l’espace revenu vivant d’une de ces terribles rencontres.

Jonas [Southeast Jones]

 C’était un homme petit et trapu, il avait le teint pâle, presque maladif, de ceux qui ont fait de longs séjours dans l’espace. Ses yeux perpétuellement en mouvement examinaient attentivement chaque objet, chaque personne présente, des yeux de fous, terrifiés, qui cherchaient désespérément quelque chose, mais sans savoir vraiment de quoi il s’agissait. Il avançait avec une lenteur excessive comme si le sol recelait d’invisibles menaces, posant doucement un pied devant l’autre. Parfois il semblait hésiter, et sans raison apparente, faisait un pas à gauche ou à droite avant de reprendre sa progression. L’une de ses mains était toujours en contact avec un mur, une table ou une chaise. Il s’arrêta et son regard croisa le mien. Il sembla évaluer la distance qui nous séparait et suivant toujours son étrange rituel, se dirigea vers moi. Il toucha mon visage à la manière des aveugles.

« Vous, je ne vous connais pas, murmura-t-il d’une voix étonnamment douce, existez-vous ou n’êtes-vous qu’une de ses projections ?

— Pour autant que je sache, je suis bien réel, dis-je en réprimant un sourire.

— Qu’est-ce que la réalité ? Vous pourriez tout aussi bien croire que vous êtes réel. »

Je touchai sa main. Il tressaillit, mais ne la retira pas.

« Un point pour vous, je m’appelle Antoine Béranger.

— Ira Horowitz, mais pour tout le monde ici je suis Jonas, j’ai été avalé par un Ogre. »

Avalé par un Ogre ! Les spatiens n’étaient pas très différents des marins. Quel que soit l’océan sur lequel on navigue, les mythes ont tendance à se ressembler. L’histoire de Jonas promettait d’être intéressante...

« Je suis journaliste, vous aimeriez m’en parler ? Je pourrais peut-être faire un papier sur vous. Personne à ma connaissance n’en a jamais vraiment vu. Je vous laisserai même une petite commission si je tire un bon prix de l’article.

— D’accord si vous payez le coup, j’ai la gorge aussi sèche que le désert de Mars. » Un sourire ambigu lui barra le visage. « Et puis ça me changera de raconter mon histoire à quelqu’un qui ne me prend pas pour un illuminé. »

On apporta rapidement les deux bières que j’avais commandées. Il prit le verre à deux mains, et entreprit de boire lentement. Quand il eut fini, il reposa le récipient sur la table, rota avec satisfaction et ne bougea plus. Ce n’est que lorsque le deuxième verre fut servi qu’il commença enfin à parler :

« À l’époque, je servais comme ingénieur sur le Lilibeth, un vieux bâtiment de prospection. Les affaires n’étaient pas bonnes et nous étions fatigués. Nous faisions route sur Ganymède où nous avions repéré quelques cailloux qui semblaient prometteurs. Vous savez comment ça fonctionne : les sondes ressemblent un peu à un missile à têtes multiples, à proximité de la cible elles larguent une vingtaine de petites foreuses équipées de scanners. Quand on arrive dans un champ, on en lance une dizaine sur les plus gros astéroïdes, il ne reste plus qu’à étudier les données. Et voilà que nos détecteurs s’affolent : cuivre, tantale, fer, uranium... On avait touché le gros lot ! Avec mes primes, j’allais enfin pouvoir m’offrir un petit vaisseau minier et peut-être même engager du personnel ! Le capitaine a immédiatement modifié le cap...

» Moins d’une heure plus tard nous étions pris au piège.

» L’Ogre, c’est une énorme masse biologique de trois à quatre cents mètres de diamètre, une créature qui en temps normal se satisfait de molécules prébiotiques portées par les vents solaires ou arrachées au sillage des comètes. L’équipage d’un astronef représentait des millénaires de nourriture. Les sondes l’avaient brutalement sorti de sa torpeur. Notre arrivée dans son biotope avait sans doute réactivé une fonction endormie. Ce n’était qu’une grosse bestiole inoffensive ; c’était désormais un redoutable prédateur. »

Sales bêtes !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant