Matthieu
Je croise mon père dans les escaliers alors que je rentre de l'hôpital. J'y passe la plupart de mes journées, au chevet de ma sœur qui va de mieux en mieux. Depuis le départ, plus que forcé, de ma génitrice lorsque nous étions enfants, je la protège contre vents et marées. Elle a très mal vécu ce départ et, pour ma part, je me suis renfermé sur moi-même et me suis concentré sur ma famille et leur protection continuelle. Je crois que ni ma sœur ni moi ne souhaitons revoir un jour la femme qui nous a mis au monde, nous nous sommes presque mis dans la tête qu'elle n'existait, n'existe et n'existera plus jamais. Je n'ai jamais été une personne très bavarde et cette histoire n'a rien arrangé.
Ces cinq dernières années, j'avais réussi former une sorte de « groupe » composé de mes plus chers amis et quelques hypocrites qui nous collaient. Mais ça, c'était dans ma ville natale et surtout avant que mon père ne soit muté. Je suis mitigé quant à notre déménagement : j'étais triste et dégoûté lorsqu'il m'a annoncé le dernier jour mon année de seconde que nous allions partir vers de nouveaux horizons, mais la perspective de le voir tourner la page pour de bon m'a fait comprendre que je ne pouvais pas lui en vouloir. Je n'en ai pas le droit. Il veut simplement être heureux.
Ce dernier me lance d'ailleurs un regard réprobateur et je sais exactement ce qu'il tente de me dire : tu t'es mal comporté. Je lève les yeux au ciel, souffle d'agacement et fonce dans ma chambre en claquant la porte derrière moi.
Il me sermonne depuis que nous sommes rentrés de l'hôpital, le jour où Sarah a été renversée. C'était il y a deux semaines. Je sais que j'ai mal agi : je n'aurais pas dû lui parler de cette façon. Léa était juste venue s'assurer que je n'étais pas sur le point d'imploser... Ce qui était effectivement le cas.
Il ne comprend pas pourquoi j'ai agi de la sorte. Et pourtant, il devrait être capable de me comprendre plus que quiconque.
Lorsque mes parents se sont rencontrés, c'était l'amour fou. Ils pensaient finir leurs vies ensemble. Mais j'ai bien l'impression que seul mon père avait cette vision des choses. Ils se protégeaient, ils n'avaient jamais fait l'amour sans préservatif. Il a suffi d'une seule erreur pour que tout bascule. Lors d'une soirée éméchée, ils ont oublié de mettre une protection et ma mère est tombée enceinte. Je sais que pour la plupart des femmes, une grossesse, prévue ou non, est une bonne nouvelle. Mais cette femme a fait partie des personnes que la grossesse répugne. Cependant, contre toute attente, elle n'a pas avorté. Oh non, elle a fait bien pire. Mon père lui a expliqué que pour lui la grossesse était un don du ciel. Il n'envisageait donc pas la vision de l'avortement, mais il lui a laissé le choix, car c'était elle qui portait l'enfant, et non lui. Elle avait le choix et elle a décidé de me donner la vie. On pourrait penser que c'était la fin du cauchemar et qu'ils allaient être heureux.
Mais tout ne s'est pas passé comme on aurait pu le croire.
Durant la gestation, ma génitrice a eu d'énormes sautes d'humeur, mais mon père se disait que cela devait être normal pour une femme enceinte. Après ma naissance, elle ne cessait de répéter qu'elle avait grossi par ma faute et mon père lui répondait systématiquement que ce n'était pas ma faute et que le poids qu'elle avait pris lui allait très bien. Je sais, très grosse erreur. Prenez cela comme exemple les garçons : ne jamais dire à une fille ou une femme qu'elle a pris du poids. Jamais. Je pense que leur couple a chaviré alors que j'avais seulement quelques mois. Je ne me rendais pas compte de ce qu'elle lui faisait et de ce qu'il endurait, à l'époque. J'avais deux ans lorsque la famille a accueilli ma petite Sarah. Et cet événement n'a rien arrangé...
J'étais le plus heureux des grands frères. La relation de mes parents semblait aller mieux. Mais rien n'est éternel. Le passé me l'a appris.
La première fois que j'ai entendu ses cris de douleur, je n'avais qu'une dizaine d'années. Je ne comprenais pas ce qu'il se passait et je ne savais pas quoi faire. J'étais complètement perdu. Alors je n'ai rien fait. Grossière erreur.
Tous les soirs, j'entendais les cris de mon père qui suppliait ma génitrice d'arrêter. Je ne savais pas ce qu'elle lui faisait jusqu'à cette fameuse nuit.
Il était tard et les hurlements n'avaient pas cessé depuis que nous avions quitté la table. Il y a eu un énorme « boom » qui m'a fait trembler de tous mes membres. Lorsque je suis descendu, j'ai surpris ma génitrice, la femme qui m'a donné la vie, rouer de coups mon père. Ce moment a marqué ma vie à jamais. Je suis passé de l'ignorance à la réalité monstrueuse. Ma mère battait mon père. Je la haïssais. Et ce sentiment envers cette personne n'a pas changé d'un poil. J'étais seulement un enfant. Je ne savais pas quoi faire. J'ai pris la solution qui venait à mon esprit. Je me suis caché et je suis remonté dans ma chambre sans faire de bruit. Je me déteste encore aujourd'hui pour mon manque de réaction face à l'atrocité de la situation. Le lendemain, le visage de mon père était tuméfié. Il nous a promis qu'il s'était pris un poteau la veille. Niveau crédibilité, on a vu mieux, mais je me suis tu, parce qu'à l'époque, je me voyais mal demander des comptes à cette femme entre deux gaufres pendant le petit-déjeuner.
Une semaine plus tard, j'ai une nouvelle fois entendu ce bruit affreusement terrifiant. Je suis descendu en courant. Je l'ai trouvé là, étendu sur le sol. Sans vie. Et elle qui me regardait sans émotion dans le regard. Je ne reconnaissais pas la femme qui m'avait donné le sein. Elle n'existait plus. Elle m'a hurlé de partir, que cela ne me regardait pas. Je n'en croyais pas mes yeux et mes oreilles. Je ne l'ai pas écouté, j'ai couru vers mon père et me suis agenouillé à ses côtés. Je l'ai secoué de toutes mes petites forces en lui hurlant de se réveiller. J'ai vu cette femme s'enfuir par la porte de notre petite maison, les mains couvertes du sang du seul parent qui comptait à mes yeux. Sans se retourner un seul instant.
Sous mes yeux horrifiés, Sarah a doucement descendu les marches et a éclaté en sanglot lorsqu'elle s'est aperçu de la scène qui se déroulait juste devant ses petits yeux d'enfant. Je me suis emparé du téléphone fixe, avec je ne sais quelle force. Sûrement la dernière qu'il me restait. Je titubais. J'ai appelé les secours. Ils ont tenté de me rassurer, en vain. Quelques minutes plus tard, la sonnette résonnait et je courrais ouvrir. Ils se sont occupés de mon père pendant que les voisins, appelés en renfort, nous rassuraient comme ils pouvaient.
Ma mère n'est pas venue à l'hôpital. Elle a disparu de nos vies. Et c'est uniquement deux ans plus tard qu'elle a été arrêtée et, suite à un interminable procès, elle a fini derrière les barreaux pour tentative d'homicide.
Mon père s'en est sorti. Au départ, mes grands-parents, ses parents, sont venus s'occuper de nous, histoire qu'il puisse se reposer, mais il ne l'entendait pas vraiment de cette oreille. Je me souviens qu'on faisait semblant d'être des cambrioleurs tous les trois, pour échapper à la surveillance de papi et mamie. On prenait des provisions dans la cuisine et on partait par la grande porte du salon, et puis on allait se régaler dans le parc voisin. C'est comme si cet horrible épisode nous avait rapproché au point qu'il nous est difficile de rester éloignés longtemps les uns des autres. Et ne parlons pas des câlins familiaux, ou des films de Noël qu'on regarde, emmitouflés dans un énorme plaid, tous ensemble. S'il y a bien une chose que cette femme a réussi à faire correctement dans sa vie, c'est de disparaître de la nôtre, pour que l'on puisse être une vraie famille. Il va bien maintenant que nous avons déménagé. Ne plus vivre dans la maison de son cauchemar l'a grandement aidé à tourner la page. Il n'oubliera jamais, et nous non plus.
C'est la principale raison pour laquelle j'ai repoussé Léa. Je ne veux pas m'attacher trop rapidement aux personnes que je rencontre. Mais avec elle, je n'ai pas pu m'en empêcher. Elle me donne vie. L'espoir que j'avais de ne pas tomber amoureux d'elle est vain. C'est comme essayer d'échapper à la lumière du soleil ou à la noirceur de la nuit, c'est impossible, et on n'a pas envie d'essayer. Je le sais aujourd'hui. J'ai succombé à la seconde où mon regard a croisé le sien, le jour de la rentrée.
Léa, je t'aime.
Je regarde mon horloge et prends mes affaires rapidement. Je sais exactement où je dois me rendre pour alléger mon cœur de cette culpabilité grandissante.
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B.O.M.I. - Boyfriend Of My Imagination
Romance"C'est en première que je l'ai rencontré. Matthieu. Avant même que je le sache il est devenu une des personnes les plus importantes pour moi..." Léa a 17 ans, elle n'est qu'une fille parmi tant d'autres : banale. Lors de son premier jour en classe d...