彼女

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Ce n'était qu'un murmure au début. Un sifflement dans le creux de mon cœur, logé entre mes côtes. J'ai cru bon de l'ignorer ; il finirait par s'estomper, sûrement. Je l'espérais. Mais plus je tâchais de ne pas y faire attention, plus cette voix grandissait ; et je la sentais prendre possession de mon ventre, ma gorge et bientôt mes yeux. Quand je me regardais dans le miroir, je n'entendais qu'elle me chuchoter des mots que je n'arrivais pas à déchiffrer et je me forçais à ne pas m'y tenter. En l'espace de quelques temps, c'était mon corps tout entier qui fut endormi grâce à la berceuse qu'elle fredonnait au travers de mes os. Douce comme de la soie. Cela ressemblait presque à un carillon que le vent aurait fait tinter. J'avais fini par me laisser porter par ce son délicat dont j'avais l'impression qu'il caressait les parties les plus intimes de mon âme.

Et puis un jour, ses mots sont devenus clairs comme de l'eau. Et je me suis mise à attendre impatiemment les moments où elle me parlait. Elle était toujours là. Avec moi ; en moi. Elle m'apaisait, laissait mon corps dans une sorte de douce transe dont je ne voulais pas sortir ; un cocon qu'elle avait tissé autour de moi lentement, prenant son temps pour qu'il soit le plus solide possible.

Il y avait des moments où elle ne parlait pas, presque comme si elle disparaissait. Mais au milieu de ma poitrine brûlante, emmitouflé au plus profond de mon cœur, résidait sa forteresse de glace, impossible à oublier. Un endroit si petit que je me demandais souvent comment quelque chose de si grand pouvait y entrer. Un endroit si froid que même lors des nuits les plus chaudes, je ne pouvais m'empêcher de frissonner ; un frissonnement si violent qu'il en faisait claquer mes dents. Et c'est alors que sans prévenir, elle m'enveloppait de ses bras gelés et me serrait de toutes ses forces contre elle, presque à m'en couper le souffle. Dans ces moments-là, je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais que me laisser aller, la laisser resserrer son corps immense autour du mien, si minuscule. J'avais souvent l'impression d'en mourir. Je ne pouvais penser à rien d'autre qu'à son infini présence, obscure, étouffante. Je ne dormais plus ; elle ne m'en laissait pas l'occasion. J'avais milles choses me passant par la tête à la seconde et pourtant, je me sentais vide. Incapable de penser. Telle une chrysalide que mon âme aurait délaissée.

Elle m'obligeait à m'enrouler sous mes draps et y trouvait sa place presque aussitôt, à côté de moi. Elle était si souvent là que j'avais fini par oublier ce que c'était d'être seule. J'aurais presque préféré l'être.

C'était quand elle retirait son emprise d'autour de moi que je réalisais ce qui m'arrivais. Une demi-seconde de lucidité ; elle grignotait ce qui faisait de moi qui j'étais. Je pouvais presque sentir l'air passer dans le minuscule trou qu'elle avait formé dans mon coeur, en l'espace de quelques temps. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Je me complaisais trop dans ses bras pour m'insurger. Après tout, elle était tout ce qu'il me restait. Elle était la seule à me parler. La seule que j'entendais lorsque le monde devenait trop lourd ; lorsqu'elle le faisait devenir trop lourd.

Quand elle partait, ce n'est même pas du soulagement que je ressentais ; j'attendais simplement son retour. Patiemment. Sachant qu'elle reviendrait bientôt. Et je ne m'y trompais jamais, malgré qu'il n'y ait aucun signe avant-coureur. Elle m'enveloppait doucement, sa voix prenant soudain le dessus sur tout le reste. Ne résistes pas. Jamais je n'aurais pu, de toute manière.

Je me rendais compte que j'avais changé quand je me regardais dans le miroir. Mon sourire n'était plus le même ; c'était le sien. Et dans mes yeux, c'était son regard qui m'avait remplacé. Je ne savais plus qui j'étais. N'étais-je défini que par elle ? Elle, cette tristesse qui avait fait gonfler mon coeur, lentement, jusqu'à que j'eu l'impression qu'il allait exploser, ne laissant de moi qu'une marionnette à peine tenue par des fils invisibles. Elle, cette tristesse qui tirait mes traits vers le bas, créant le visage d'une inconnue lorsque je m'étudiais dans la glace. Elle, cette tristesse qui m'avait forcé, sans que je ne m'en aperçoive, à la laisser prendre possession de tout ce qui faisait de moi, moi. Et c'est quand je m'autorisais enfin à accepter sa présence que la tristesse m'avait parue familière. Comme une amie de longue date.

Maintenant, je ne savais plus qui j'étais sans elle. J'étais bloquée en moi-même, avec la tristesse pour seule colocataire de mon corps devenu si impersonnel.


Ne résistes pas.

Je ne pouvais plus.

ElleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant