1

9 3 1
                                    

La porte des archives se referma avec un léger "clic" qui résonna fort dans le silence et les ténèbres. L'interrupteur poussiéreux s'actionna sous le doigt de Marc, éclairant faiblement d'une lumière jaune et blafarde les antiques étagères d'archives, alignées devant lui tel un sombre dédale qui semblait s'enfoncer dans la pièce. Les dossiers aux couleurs de plus en plus ternes et à l'aspect de plus en plus ancien semblaient l'attendre, prêts à se refermer sur lui pour le noyer sous leur forte odeur de papier humide.

Avec un soupir, il renonça à allumer les autres lumières de la vaste pièce et commença à avancer face à l'océan de formulaires, comptes-rendus, témoignages, factures, complaintes, contrats, et tous ces papiers qui semblaient rythmer la vie de toute entreprise avant d'atterrir dans ce cimetière de l'administration. Un nouveau soupir, plus profond et déchirant lui échappa lorsqu'il commença à faire courir ses yeux et le bout de ses doigts sur les bords abimés des boites d'archives à la recherche du Saint Graal qui le sortirait de ce donjon de l'éternel ennui.

Après de nombreux détours parmi les étagères et de nombreux soupirs ennuyés, il fut soudain sorti de sa morne recherche par un bruit lent et régulier, quelque part sur sa droite. Un raclement, suivi d'un coup sourd, puis encore un raclement, à nouveau un raclement. La séquence se répéta plusieurs fois en se rapprochant. Les pupilles de Marc s'étrécirent lorsqu'il essaya de briser l'obscurité qui s'étendait plus loin, afin de trouver l'origine du bruit. Il caressa l'idée de repartir en arrière pour allumer les autres ampoules nues qui tombaient du plafond, mais renonça pour être sûr de ne pas chercher plusieurs fois son dossier sur les mêmes étagères par erreur. Toutefois il ne put s'empêcher de jeter quelques coups d'œil à sa droite, à chaque fois que le bruit survenait de nouveau. L'ombre d'une silhouette se dessina sur le sol, au coin d'un virage entre deux étagères, et le soupir qui s'échappa cette fois de Marc était un de soulagement. Un collègue qui, comme lui, avait été envoyé chercher un dossier dans l'antre de la bête, et qui semblait encore moins motivé que lui. Sûrement quelqu'un qui détestait cet endroit encore plus que lui, et dont les visites entre les dossiers commençaient à lasser au son de son pas trainant avec mollesse sur le linoleum.

"Alice !"

Le nom quitta les lèvres de Marc en un souffle. Une exclamation silencieuse de surprise et d'incompréhension alors qu'une jeune femme apparaissait à l'angle d'une étagère, juste sous une ampoule allumée au bout de la dernière rangée. Marc engagea la conversation avec sa collègue, enchainant les questions sans même attendre de réponse.

"Alors c'est ici que tu te planquais ? Depuis hier ? On a tous cru que tu étais partie plus tôt pour te faire un weekend de trois jours ! On te cherchait, tu sais ? Qu'est-ce que tu es venue foutre ici ?"

Avec son babillage constant, le cœur de Marc reprenait un rythme normal, et il sourit même à sa collègue, prenant tout de même note de son allure blafarde et de son air morne. Elle sembla l'ignorer et scruta les étagères autour d'eux, tout en serrant un mystérieux dossier à l'air malmené.

"Hé !"

Marc bondit devant elle, vexé de l'indifférence de sa collègue.

"Ok. Je ne sais pas qui t'a envoyé chercher ici je ne sais quoi, mais c'est sûrement une blague. Allez viens on remonte."

Le regard fixe et vide, les pupilles vacantes, un visage presque flasque et fatigué, la jeune femme entama une nouvelle ronde. Elle passa une nouvelle fois devant Marc, et recommença à errer au milieu des étagères sombres et poussiéreuses en suivant le chemin dessiné par les ampoules allumées de son même pas inlassablement lent. Marc lâcha un soupir agacé, la rejoignit et attrapa brusquement son poignet pour la retourner.

"Ok. Ça commence à bien faire ! Si tu tournes vraiment en rond depuis hier, ça s'arrête maintenant. On remonte."

Il laissa s'échapper le poignet, prêt à se diriger vers la porte, mais Alice resta immobile. Avant qu'il ne puisse ajouter un mot, elle prit finalement la parole.

"Éteins la lumière."

La phrase résonna mollement autour d'eux. Ses lèvres parcheminées avaient laissé échapper ça d'une voix rauque et incertaine, la voix de quelqu'un qui n'a pas parlé depuis bien trop longtemps. Marc fit un pas en arrière, surpris autant par les mots que par la voix.

"Qu...que... Que j'éteigne ? M...mais pourquoi ? Il fait déjà suffisamment sombre. On devrait juste remonter. S'il te plait Alice !"

"Éteins la lumière, s'il te plait."

La phrase fut répétée de ce même ton monotone, plusieurs fois entrecoupées par les demandes de Marc qui tournaient aux suppliques.

"C'est idiot, on va se retrouver dans le noir... On devrait juste remonter, s'il te plait Alice, s'il te plait !"

"Éteins la lumière, s'il te plait."

"M...Mais dis-moi au moins pourquoi, tu me fous les jetons, merde !"

Cette fois, quand Alice se contenta d'un "Éteins. La. Lumière." prononcé distinctement. Marc fut sûr que son cœur avait raté un battement.

"Non, non, non, non, non. Pas tant que tu ne m'auras pas dit pourquoi. Pas tant que tu ne m'auras pas dit autre chose. Non !"

"Éteins la lumière, s'il te plait." Reprit-elle. Pourtant cette fois elle ajouta : "Rien qu'un instant Marc."

La respiration erratique, Marc finit par céder dans l'espoir de ramener sa collègue à la raison s'il obéissait à sa stupide requête. 

Eteins la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant