Pour Elle.

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Avant, j'avais un nom. Je ne sais plus lequel. Maintenant tout le monde m'appelle Nº15591 et je ne m'en plaint pas. Je ne pense qu'à Elle.

Elle était si belle, si souriante malgré la terreur qui régnait autour de nous, malgré le rétrécissement des groupes présents. Elle consolait mon coeur en parlant du futur si facilement, elle s'y projetait aisément m'y incrustant toujours et je l'aimais. Elle avait cette voix si sereine, si apaisante surtout la nuit quand elle murmurait des chansons inventées à mon oreille et ses caresses délicates et si nombreuses. Elle était devenue ma raison de vivre! Je ne respirais que lorsque son coeur était près du mien, lorsque ses bras m'enlacaient , que je sentais son souffle dans mon cou et qu'elle me parlait dans la nuit noire, doucement pour ne pas éveiller les autres, intimement comme si ces mots n'appartenaient qu'à nous. Lorsqu'elle s'assoupissait enfin, je la regardais. Jamais je ne m'en serais lassé de voir sa poitrine se soulever, sa bouche fine et rosée marmotter des sons imperceptibles de temps à autre. Il arrivait qu'elle fasse des cauchemars mais elle ne se réveillait plus en sursaut comme avant, elle se contentait de se recroqueviller sur elle-même en me serrant la main. C'est fou comme je l'aimais! On passait tous les jours ensemble et quand ses hommes à l'air si fier et au regard noir s'approcher, des messes basses se faisaient entendre dans la peur de savoir qui serait pris cette fois-ci. Au milieu de la foule, j'essayais tant bien que mal de la cacher derrière moi parce qu'elle n'avait pas le droit d'être là... et les autres partaient, certaines fois les pleurs et les cris envahissait l'air chaud et lourd, une fois même, une jeune femme choisie se débattait pour rester près de son bien-aimé, l'officier lui cogna la tête plusieurs fois contre le mur jusqu'à ce qu'on entende un bruit horrible, terrifiant et il la traîna hors de l'endroit par les pieds, je m'étais retourné pour regarder ma précieuse espérance, elle avait les mains sur la bouche et les yeux arrondis et ses doigts resserrant mon torse, me griffant presque, je l'enlacai en lui promettant que ça ne nous arriverai pas,à nous. Elle ne pleurait plus pourtant son regard restait doux, il est vrai que quelques fois elle craquait et me demandais si on survivrait, s'il ne fallait pas tout abandonner et se laisser mourir, je ne lui en veux pas, quelques fois l'espoir s'enfonce profondément dans le sol et s'y cache mais elle avait cette force qui savait refaire jaillir cette lueur au fond de l'abîme. Le silence de l'attente était insoutenable. Plus d'une fois j'ai failli me laisser aller mais je ne pouvais pas l'abandonner, elle me suppliai toutefois de ne pas la laisser et je lui avais promis pourtant chaque fois que le soleil était au zénith, j'espérais secrètement partir avant elle. Parce que je n'arrivais à m'évader dans le futur comme elle, je savais qu'un jour on serait séparé, je voulais simplement que ce jour arrive le plus tardivement possible. Je n'étais pas pessimiste, simplement réaliste et pour rien au monde je n'aurais pu la voir partir sans essayer de la retenir. Est-il possible d'aimer à ce point? Il m'arrivait de lui dire que si je partais, il ne fallait pas qu'elle pleure. Elle avait le droit d'être triste mais je ne voulais pas savoir que ma mort allait faire couler ses larmes, je ne voulais pas la laisser au milieu de tous ses gens qui ne la connaissaient pas J'en étais malade d'amour! ...ce jour là, elle était derrière moi comme tous les autres jours mais ils m'ont poussé et l'ont pris, je ne pouvais pas la laisser partir, je ne devais pas mais je n'ai pas bougé. Je l'ai regardé dans les yeux et j'y ai lu de nombreuses choses comme la peur, la colère, la tristesse, l'amour, beaucoup d'amour, elle ne se débattait même pas, elle était courageuse, j'étais fier d'elle, ses yeux ne me lâchaient pas, elle faisait tout comme je lui avais dit: 《Quand le moment arrivera,s'il arrive, ne crie pas, ne pleure pas, ne laisse aucune émotion paraître, ne leur donne jamais le plaisir de te voir souffrir, regarde moi simplement, je comprendrai》. J'avais compris, comme si les yeux pouvaient parler seulement elle n'était plus là, cette lueur d'espoir si souvent présente avait disparue et avant de la perdre de vue, je crois qu'elle a esquissée un sourire, le plus simple et le plus beau du monde accompagné d'une larme, comme si quelque chose s'était brisé en elle, comme si elle venait de se rendre compte qu'on ne se verrait plus. Lorsque les coups de fusils ont retenti et que l'odeur des corps brûlés a envahi l'espace, je me suis senti mal, un remord poignant s'est emparé de moi, je l'ai laissé partir sans rien tenter et je ne me le pardonnerai jamais, pour la première fois depuis longtemps, j'ai pleuré. Je me suis promis de la venger, on ne tue pas un ange. Mais comment? Avec quoi? Où ? De quelle manière? Je n'avais rien qui puisse rivaliser avec leurs armes. Puis un jour, j'ai vu un morceau de bois. Je ne sais pas comment il est arrivé là mais il était là, a quelques centimètres de moi. Je l'ai pris et chaque jour j'y mettais toute ma haine en l'aiguisant sur le sol. Le jour où on m'a pris, il n'était pas encore très pointu mais l'était assez pour blesser. Sitôt que j'ai eu assez d'espace pour approcher l'officier allemand qui m'avait retiré mon trésor, j'enfonçai mon poignard improvisé dans sa poitrine, trois ou quatre fois avant qu'on me tire plusieurs balles sur le corps. L'espace d'un instant j'ai regardé les yeux remplis de haine de ce monstre et j'ai vu les miens. Ils étaient semblables en tout point mis à part la raison. Lui, le racisme ou l'endoctrinement et moi, la peine et la tristesse. L'on attacha mes brad et mes jambes puis on me traîna jusqu'à un énorme trou. J'avais réussi mon objectif, il n'était pas mort mais au moins il avait ressenti ma haine pour ce régime. Elle ne serait pas heureuse de ce que j'avais fait, elle m'aurait fait la tête pendant quinze minutes au moins mais je suis sûre qu'elle aura compris et m'aurait pardonné. Elle savait que je l'aimais.

Désormais ils pouvaient s'acharner sur mon corps, je suis déjà mort. J'étais mort depuis qu'elle m'avait quitté, j'étais heureux de la rejoindre. Puis je me rappelle. J'ai fait couler du sang. Peut être bien qu'on ne se reverra pas. Mon corps roule dans la fosse. Dans un moment d'espoir, je me dit qu'elle est dans la fosse et qu'au milieu de nos frères, j'espère que nos mains se joigneront. Je ne suis pas le plus sain des hommes ni le plus cruel.

Avant j'avais un nom. Je ne sais plus lequel.
Mais je sais que je l'aimais
Elle.
Ma fille, elle avait Quatre Ans.

15591Où les histoires vivent. Découvrez maintenant